En décembre dernier, lors de mon séjour de travail à l'atelierlaboratoire du chef Ferran Adrià, à Barcelone, j'ai eu le privilège d'assister à une dégustation privée, conduite par le viticulteur Álvaro Palacios. Installé dans les bureaux d'elBulli, avec vue sur le célèbre marché La Boqueria, accompagné de Juli Soler, copropriétaire de ce restaurant icône, de ses deux sommeliers, Ferran Centelles et David Seijas, ainsi que d'Isma Prados, cuisinier vedette du petit écran catalan, nous avons assisté à une passionnante leçon d'histoire, de terroirs et de culture, tout en devisant sur l'harmonie vins et mets.

Je lisais, l'automne dernier, dans le magazine Decanter, «qu'il n'y a qu'un seul pays en Europe qui pouvait engendrer à la fois Ferran Adrià et Àlvaro Palacios». Le dynamisme de l'Espagne est effectivement palpable, spécialement à travers ces deux icônes de la gastronomie mondiale et du vignoble planétaire.

La touche magique d'Álvaro Palacios lui a permis d'être à l'avant-scène de la renaissance de la zone d'appellation Priorat, avec son domaine éponyme. Puis, il a été à la tête d'une autre renaissance, celle du cépage mencia, dans le Bierzo, où il a fondé avec son neveu, Ricardo Perez Palacios, le domaine Descendientes de J. Palacios.

Et depuis 2000, dans la Rioja, où il a effectué un retour aux commandes du domaine Palacios Remondo, après le décès de son paternel la même année, il a su à nouveau y revitaliser tous les crus de ce domaine familial qui l'a vu naître. Soutenu par sa femme Cristina, ce jeune homme doué est assurément un viticulteur de la Renaissance!

Lors de notre réunion, Álvaro Palacios avait apporté avec lui, pour l'occasion, tous ses vins des millésimes 2006 et 2007. Je vous livre ici un survol de cette rencontre, dont mes coups de coeur. Pour un rapport plus substantiel de cette dégustation, visitez le blogue www.francoischartier.ca à la section «Jeudi-vin».

Premièrement, il vous faut absolument découvrir ce que je qualifie, grâce à l'exceptionnel millésime 2007, comme le meilleur rapport qualité-prix espagnol chez les vins offerts sous la barre des 20 $. À savoir, la cuvée La Vendimia 2007 Rioja, Bodega Palacios Remondo, Espagne (17,15 $; 10 360 317), à parts égales de grenache et de tempranillo, au nez très fin, sur les fruits rouges, les fleurs et les épices douces, à la bouche fraîche et élancée, avec éclat et grande digestibilité, tout en étant texturée et presque gourmande.

Si vous le servez accompagné d'une pizza au capicolle fort, pimentón fumé (ou paprika) et lanières de poivrons rouges rôtis, il se jouera des notes subtilement piquantes du capicolle et du pimentón fumé, ainsi que du torréfié «smooky» de ce dernier, sans oublier que le poivron trouvera écho dans les notes de pyrazines végétales qui composent la structure fine des tanins.

Du côté du Priorat

Puis, du côté du Priorat, il ne vous faudra pas laisser filer le millésime 2006, étonnant de fraîcheur et de raffinement, de la cuvée Les Terrasses 2006 Priorat, Bodega Àlvaro Palacios, Espagne (35,25 $; 10 931 562). Depuis trois ans, mes dégustations sur place de tous les crus du Priorat des autres domaines confirment à nouveau que nous sommes en présence du meilleur rapport qualité-prix de son appellation. Il faut dire que Palacios a effectué une sélection très rigoureuse, tant à la vigne qu'à la cave, pour ne conserver que les meilleurs lots. Le résultat le confirme.

Profond, compact et intensément savoureux lors d'une première dégustation sur place, en 2007, ce vin se montre maintenant d'une expression aromatique d'une complexité (violette, muscade, café, cacao) et d'une race rare chez les vins de ce prix. Sans compter qu'il est plus fin, plus ciselé et plus épuré en bouche que les millésimes passés, et ce, tout en étant plein, ample et très long. Ses tanins réglissés et anisés à souhait, ainsi que son corps généreux, épouseront avec brio le désormais populaire braisé de boeuf à l'anis étoilé de Josée di Stasio.

Si les grands vins sont une priorité pour vous, (NDLR: et que vous en avez les moyens) alors il vous faudra engranger un flacon du sensationnel L'Ermita 2006 Priorat, Bodega Álvaro Palacios, Espagne (758 $; SAQ Signature; 705 715), la cuvée qui a propulsé ce viticulteur au firmament des plus grands vignerons de ce monde. Dans ce millésime, par la dynamisation des sols en culture biodynamique (depuis 1993), lors de sa dégustation en décembre, L'Ermita vibrait littéralement dans tout notre corps! Haute définition aromatique, pas de bois à l'horizon, transparence et minéralité au possible, dans une matière à la fois étonnamment ramassée et éthérée, satinée et dense, quasi mystique... À ranger parmi les plus grands vins que j'ai eu le privilège de déguster à ce jour, avec les grandes réussites bordelaises, chez les premiers crus classés que sont Latour et Haut-Brion, ainsi que chez les crus de la Côte-Rôtie signés Guigal.

Enfin, pour ce qui est de ses crus du Bierzo, à base du raffiné cépage mencia, mis à part le désormais très populaire, à juste titre, Pétalos 2007 (25,30 $; 10 551 471), que j'ai déjà commenté par le passé, sachez que de très grands vins de terroir y sont ici aussi signés en biodynamie. Crus qui seront disponibles à la SAQ à compter du mois d'août.

Deux de ces vins ont retenu mon attention: premièrement, le quatre étoiles San Martín 2006 Bierzo, Descendientes de J. Palacios, Espagne (79 $: 11 100 285), au nez magnifique, noble et presque sensuel, subtilement épicé et marqué par des fleurs séchées (rose), à la bouche expressive plus que charnue, droite, élancée et fraîche, aux tanins très fins, avec du grain et de la présence. À l'aération, le nez devient subtilement balsamique, avec des tonalités de prune, de cerise noire et de clou de girofle, rappelant les grandes syrahs de la famille Chave en Hermitage. Se déploiera avec largeur sur un pot-au-feu d'agneau de cuisson saignante, au thé et aux épices (anis étoilé, réglisse, cannelle, grains de cardamome, girofle et feuilles de thé noir).

Enfin, le Las Lamas 2006 Bierzo, Descendientes de J. Palacios, Espagne (97 $: 11 100 285), qui a remporté quatre étoiles et demie par son style vineux et plus rond, rappelant à s'y méprendre celui du Château Cheval-Blanc. Nez unique, complètement différent du précédent, bouche pleine et généreuse, au velouté de texture de taffetas et aux tanins mûrs et enveloppés. Prune, cerise noire, cannelle, muscade, bouton de rose séchée, sans être boisé. Du velours, même si les tanins se montrent tout de même serrés à l'arrière-scène. Donc, ira très loin dans le temps, mais quel charme immédiat sur un magret de canard fumé aux feuilles de thé lapsang souchong!

___________________

François Chartier est l'auteur du nouveau guide des vins et d'harmonies avec les mets La Sélection Chartier 2009, aux Éditions La Presse. On peut lui envoyer des questions sur le blogue internet www.francoischartier.ca ou par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal H2Y 1K9.