Question de saluer l'investiture prochaine de Barack Obama, voici une chronique harmonique présidentielle. Ayant justement été de passage à Chicago pour y poursuivre mes recherches harmoniques du côté de la cuisine d'avant-garde du XXIe siècle, et plus particulièrement aux restaurants Alinea et Moto, le moment est on ne peut mieux choisi pour tenter de donner quelques pistes harmoniques au nouveau président américain. Allons-y pour une chronique d'ObamHarmonia.

Il faut dire que Chicago, la ville du nouveau sauveur américain, ainsi que l'une des villes gastronomiques phare du pays, se laisse porter actuellement par un vent de renouveau qui la désignera probablement, le 2 octobre prochain, comme l'hôte des Jeux olympiques d'été de 2016. Le vent de positivisme n'aura jamais soufflé aussi fort sur la ville des vents!

 

Pour saisir ce renouveau gastronomique chez nos voisins du Sud, je me suis donc attablé chez Alinea - l'alinéa est le signe de ponctuation de texte qui signale le début d'un nouveau paragraphe (en gastronomie, pour ce remarquable restaurant, comme en politique, avec l'Obamania, il va sans dire!). Sur les 25 services de bouchées-repas que nous avons dégustées, accompagnés d'une douzaine de verres de vin différents, un service illustrait avec éclat l'apparition du messie au sommet des marches du Capitole, à Washington, le 20 janvier.

Pour accompagner un grand saint-émilion, le Château Angélus 2001 Saint-Émilion Grand Cru, Hubert de Boüard, France, le chef et le sommelier d'Alinea avaient pensé un nid de cèdre frais dans lequel était servi un ragoût de trompettes de la mort et de boeuf wagyu (boeuf de Kobe). (Dégusté à nouveau, à mon bureau, il y a quelques jours, ce vin se montrait dans une forme splendide, d'une folle complexité aromatique, spécialement après un séjour de cinq heures de carafe, exhalant des notes de champignon, de graphite, de violette et de cèdre, aux tannins d'un grain velouté comme rarement touché à Bordeaux et d'une fraîcheur digeste au possible, tout en étant plein et mûr à point.)

Et comme si cette union des textures et des saveurs n'était pas assez prenante, suivait rapidement un ravioli liquide de champignons sauvages et de parmigiano-reggiano. Ainsi, Obama réussirait avec ce service un percutant accord diplomatique tant avec le Japon (le boeuf de Kobe) qu'avec l'Italie (le parmesan), tout en saluant la France (Angélus)! Le prochain G8 s'y attablera peut-être!

Pour ce qui est de ses futures relations avec la chancelière allemande, Angela Merkel, il n'aurait qu'à inviter cette dame de fer chez Alinea pour la faire fondre en lui présentant la délirante soupe de poires au pain d'épice, surmontée d'une hostie de foie gras déshydraté et fenouil confit, suivie du service d'un réconfortant shooter de maïs soufflé liquéfié, à la saveur de caramel, tous deux accompagnés d'un enveloppant riesling allemand qu'est l'excellent Riesling Hattenheimer Nussbrunnen Auslese 2003 Rheingau, Balthasar Ress, Allemagne (37$; 10786211).

Souhaitons par contre que l'engouement virtuel soulevé chez les «amis Facebook» des quatre coins du monde par l'arrivée en poste du premier cyberprésident ne soit pas qu'un rêve éphémère, comme l'excellente bière québécoise du même nom, l'Éphémère, Bière aux pommes, Unibroue, Chambly (disponible en épicerie), qui nous a été servie dans une éclatante harmonie, au restaurant Moto, aussi à Chicago.

Très appréciée par les sommeliers du Michigan, elle fut loin d'être éphémère avec un original et savoureux plat de porc aux pommes caramélisées, avec lardons et parfums de sauge - je dis bien «parfums», car la sauge fraîche était disposée à même la fourchette, qui elle était en forme de tire-bouchon, afin d'y tourner en spirale des herbes servant d'arômes pour compléter la saveur du plat, pendant que l'on mange. Virtuellement aromatique!

Dans la grande turbulence économique qui attend Obama, pour se créer une bulle de protection, en se remémorant son Hawaï natale, il pourrait se délecter, comme nous l'avons fait chez l'inspiré Moto, des tronçons d'ananas, cuits à l'azote, donc de cuisson polaire, accompagnant un filet de truite à la peau croustillante, le tout accompagné du faiblement alcoolisé Saké Nigori Genshu, Momokawa, Californie, laiteux et doucereux comme pas un, enveloppant avec maestria ce plat aux saveurs iconoclastes.

Il lui faudra aussi composer avec les problèmes majeurs du Moyen et du Proche-Orient. Au-delà des divergences et de la violence actuelle, pour se faire une idée de la beauté des lieux et, surtout, du potentiel de créativité que recèle cette région du monde, il devrait tremper ses lèvres dans l'un des crus les plus réputés, ce qui est le cas du nouvel arrivage du Comte de M 2002 Vallée de la Bekaa, Château Kefraya, Liban (48$; 722413). Une grande pointure libanaise au style proche des vins solaires et généreux de Californie, mais avec une certaine assise tannique et une fraîcheur rappelant les crus européens.

Le nez est explosif, intense et concentré. La bouche suit avec ampleur, générosité, coffre et persistance. Le boisé est passablement marqué et les saveurs jouent dans la sphère des fruits rouges presque confits, des épices douces, du cacao et de la torréfaction. La finale démontre un moelleux de texture séduisant au possible, à la manière des envolées lyriques d'Obama. Parfait pour le filet de boeuf sauce Amérique-Orient, c'est-à-dire au poivre et à la cannelle.

Enfin, pour être plus terre à terre, et plus proche de la réalité économique quotidienne actuelle de la majorité des Américains, s'il désire obtenir l'harmonie avec les Latinos, tout comme avec ses voisins mexicains, Obama aurait tout à fait raison de commander un verre de la délirante, pulpeuse, plus qu'abordable et mexicaine Petite Sirah L. A. Cetto 2006 Baja California, Mexique (11,80$; 429761) lorsqu'il s'attable à son restaurant de cuisine mexicaine préféré à Chicago, le Topolobampo, propriété du chef Rick Bayless, célébré par le James Beard Awards pour son travail de qualité.

Il pourrait faire de même lorsqu'il optera pour un réputé chili de Washington, supposément le meilleur des États-Unis d'Amérique (!), en servant, à ses citoyens de la rue, une bonne rasade de ce cru de qualité, offert à un prix défiant toute concurrence. Après tout, il doit une fière chandelle au vote hispanique qui a finalement fait pencher une partie de la balance de son côté lors de l'élection de novembre. Viva la América libre!