Pour faire suite à la précédente chronique, où je vous conduisais sur la piste aromatique des fromages québécois à pâte semi-ferme et à pâte ferme, affinés de deux à trois mois, je vous entraîne à nouveau au coeur de mes recherches sur l'harmonie moléculaire des vins et des mets, et plus précisément sur mon travail de dépistage des principes actifs des aliments et des vins. En l'occurrence, sur la piste des saveurs beurrées et crémeuses de certains fromages à croûte fleurie du Québec et, bien sûr, des vins qui devraient maintenant plus que jamais être en liaison parfaite avec nos plus beaux fromages.

Il est intéressant de noter que plus j'approfondis la structure moléculaire des fromages, plus que jamais se confirme l'union parfaite avec les vins blancs que je vous propose depuis quelques années. Ainsi le rouge n'a rarement sa place tant dans l'expérience organoleptique que dans la description scientifique de ces deux protagonistes.

Ce que la compréhension scientifique m'apporte, du moins pour l'instant, est un choix plus éclairé et plus judicieux des vins blancs et des bières à harmoniser avec les fromages, en l'occurrence ceux du Québec. Elle me permet de peaufiner l'approche sur papier, puis de confirmer la chose en pratique, en revenant au verre et à l'assiette, donc à la dégustation des vins, bières et fromages.

Prenons, par exemple, le cas des fromages à croûte fleurie, de type brie et camembert, dont certains sont double crème, d'autres triple crème. Les saveurs de ces fromages crémeux sont dominées par de nombreux principes actifs, dont certains acides aminés, qui apportent du volume et de la présence en bouche (c'est l'«umami» des Japonais), ainsi que le diacétyle. Cette dernière, une cétone, signe l'odeur caractéristique du beurre et, en forte proportion, de la transpiration humaine. Elle est donc présente dans les produits lactés, comme le beurre, la crème fraîche et le fromage, plus particulièrement ceux à croûte fleurie.

Là ne s'arrête pas l'intérêt. Le diacétyle est une molécule aromatique aussi présente dans les vins, où elle donne au chardonnay élevé en barriques de chêne sa note caractéristique de beurre. Particulièrement dans les chardonnays provenant de climat chaud, comme ceux de Californie et d'Australie. Car les méthodes d'élevage en barriques y sont très utilisées, et plus le degré d'alcool du vin est élevé, comme c'est souvent le cas sous ces cieux, plus les saveurs de beurre, et ses dérivés comme le caramel, y sont omniprésentes. L'élevage en barriques sur lies engendre aussi une bonne quantité d'acides aminés, comme celles du fromage.

Le même phénomène se traduit aussi chez les bières à haute fermentation, au degré d'alcool passablement élevé. Plus particulièrement chez les bières anglaises de type pale ale et brown ale, ainsi que chez les belges foncées. Le diacétyle et les acides aminés, au goût «umami», y jouent un rôle important dans leurs saveurs, ainsi que dans l'harmonie avec les fromages. Ceci explique cela!

Quelques pistes à suivre

Premièrement, avec les fromages Casimir, de la Fromagerie de l'Érablière (Mont-Laurier), et Le Petit Normand, de la Fromagerie La Suisse Normande (Saint-Roch-de-l'Achigan), deux québécois qui se rapprochent le plus du camembert, optez pour le tout aussi beurré, crémeux et enrobant Chardonnay Le Bonheur 2007 Simonsberg-Stellenbosch, Afrique du Sud (15,80$; 710780). Un chardonnay typiquement Nouveau Monde, aux parfums boisés, sans trop, exhalant des notes de crème fraîche, de vanille et d'épices douces, à la bouche ronde, fraîche et persistante.

Deuxièmement, le fromage Champayeur, de la Fromagerie du Presbytère (Sainte-Élizabeth-de-Warwick), une croûte fleurie assez compacte et crayeuse, donc moins coulante que ses homologues qui se rapprochent plus du camembert. Ici, un chardonnay à la structure moins «grasse» sera de mise, afin d'aller dans le sens du grain et de la compacité du fromage. Ce à quoi répondra avec précision le mi-européen mi-australien d'approche Chardonnay «Swan Bay» Scotchmans Hill 2006 Victoria, Australie (19,75$; 10748434). Un blanc d'une belle matière nourrie, sans excès, à l'acidité modérée, au corps ample et aux saveurs expressives, jouant dans la sphère de la pomme golden, l'ananas et le beurre frais.

Et enfin, le fameux Riopelle, de la Fromagerie de l'Île-aux-Grues (L'Isle-aux-Grues), un triple crème des plus généreux et prenant qui, lui, mérite un blanc plus complexe et plus substantiel, comme c'est le cas pour le Chardonnay Cloudy Bay 2006 Marlborough, Nouvelle-Zélande (35,75$; 10954086). Vous y dénicherez un engageant néo-zélandais, aux parfums à la fois élégants et expressifs, à la bouche dense et persistante, saisissante et rafraîchissante, laissant des traces d'ananas, de pomme, d'amande grillée et de crème fraîche. Belle harmonie d'ensemble et complexité le rapprochant de certains crus de la Côte de Beaune.

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François Chartier est l'auteur du nouveau guide des vins La sélection Chartier 2009, aux Éditions La Presse. On peut lui envoyer des questions par le blogue Internet www.francoischartier.typepad.com ou par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal H2Y 1K9