L'origine de la pomme remonte à plus de 60 millions d'années en Asie centrale et il existe aujourd'hui entre 6000 et 10 000 variétés cultivées par l'homme. Malheureusement, l'offre dans les marchés est loin d'être à la hauteur.

Parmi les pommes que l'on consomme chaque année, seules une dizaine de variétés occupent véritablement le marché, comme la McIntosh, la golden, la granny smith et la gala. Que sait-on vraiment des véritables plaisirs harmoniques que la pomme offre à table avec les vins? Voyageons sur la piste aromatique de l'un des fruits emblématiques du Québec.

Il faut savoir que la pomme fait partie du groupe d'aliments «au goût de froid», que j'ai ainsi nommé à cause de la présence de différents principes actifs (molécules aromatiques), dont l'estragol qui, comme le menthol, procure sa fraîche identité à la menthe. Ces molécules activent des récepteurs du goût par des températures comprises entre 8 et 28 degrés Celsius et simulent ainsi le froid - contrairement à la capsaïcine des piments forts qui elle augmente la température des papilles.

D'où la sensation de fraîcheur en bouche, spécialement lorsque la pomme et la menthe sont dégustées à cru - tout comme d'ailleurs, entre autres, le poivron vert, le concombre, l'estragon, la coriandre fraîche, le persil et sa racine, la lime, le basilic vert, le wasabi, l'anis étoilé de Chine, le fenouil, la carotte jaune et le céleri, qui sont aussi pourvus de composés provoquant la fraîcheur. Donc, tous des ingrédients à privilégier dans vos recettes où la pomme est reine.

Vins au goût de froid?

Que faire pour le choix du vin avec les plats dominés par la pomme, qu'elle soit fraîche ou cuite, et complétés par les ingrédients de la même rafraîchissante famille? Si le plat dicte le choix d'un vin blanc, qu'il soit sec ou liquoreux, il faut en élever légèrement la température de service de ce dernier, sinon les composés aromatiques «au goût de froid» de ces ingrédients rehausseront la perception du froid, pour ainsi rendre le vin encore plus froid!

De plus, ces mêmes aliments à la saveur très fraîche renforcent la perception de l'acidité et de l'amertume dans le vin, le froid momentané des papilles étant ici en cause. D'où l'importance de servir le vin blanc moins froid que d'habitude. Tout comme de ne pas sélectionner des vins blancs à l'acidité mordante - ce qui est souvent prescrit avec la pomme -, et de ne pas opter pour des vins où l'amertume est trop appuyée.

En blancs secs, il faut mettre à son carnet d'achat les vins à dominance de sauvignon blanc, de riesling, de romorantin ou de grüner veltliner, ainsi que d'albariño ou de verdejo, sans oublier certains chardonnays de climat frais et élevés en cuve inox, comme ceux de Chablis. En rouge, le choix est plus restreint. Seul le cabernet franc possède à la fois les propriétés au goût de froid et la structure pour demeurer en selle devant les saveurs de la pomme et de ses ingrédients "jumeaux". Enfin, le goût de froid réduit la sensation sucrée des vins liquoreux en haussant leur acidité et leur amertume. Ce qui permet comme par magie de brider le sucre de ces vins trop peu servis à table. Optez alors pour des blancs liquoreux à base des mêmes cépages proposés pour les vins secs.

Quelles pistes suivre?

Une fois ces données acquises grâce aux recherches en «sommellerie moléculaire», sur lesquelles je planche à temps plein, vous vous demandez peut-être ce que l'on mange et ce que l'on boit. Alors, allons-y de quelques pistes harmoniques à la fois plus gourmandes et plus précises que jamais. Le plus simplement du monde, afin de vous permettre de constater la véracité de mes résultats de recherches à la fois théoriques et pratiques, cuisinez-vous un sandwich au fromage de chèvre frais, avec de fines tranches craquantes de pomme, de poivron et de concombre, avec de la menthe fraîche et du wasabi.

Simple comme bonjour, mais rafraîchissant au possible et on ne peut plus représentatif de ce que j'appelle les recettes «au goût de froid». Côté harmonique, les ingrédients de ce sandwich permettent l'accord tant avec un rouge qu'avec un blanc. Optez soit pour un expressif verdejo espagnol, comme le Verdejo Bribon 2006 Rueda, Prado Rey, Espagne (15,25$; 10856371). Un blanc sec qui s'exprime par des notes aromatiques de menthe fraîche, de fenouil et de persil, ainsi que de pomme verte et de pamplemousse rose, à la bouche bavarde, éclatante et croquante. Soit pour un jeune, fringant et coulant chinon de la Loire, comme la cuvée «La Coulée Automnale» 2006 Chinon, Couly-Dutheil, France (17,30$; 606343), idéal pour saisir la fraîcheur et l'éclat simple et direct du cabernet franc en sol loirien.

Toujours avec les ingrédients au goût de froid, autour de la pomme, profitez des derniers beaux jours de la saison pour vous confectionner un saisissant velouté froid, très légèrement crémé, de concombre, de pomme et de zestes de lime, puis servez à vos invités un tout aussi invitant et zesté blanc sec à base d'albariño, comme le minéralisant, compact, complexe et excellent Pazo de Senorans 2005 Rias-Baixas, Espagne (23,15$; 898411).

Pomme jaune, carotte, safran

Il faut aussi savoir que la pomme jaune, comme la golden et la pomme-poire, possède cette couleur à cause de sa richesse en caroténoïdes, spécialement en bêtacarotène (tout comme pour le safran, la carotte jaune et les algues kombu et nori, ainsi que certains vins blancs). Il faut donc composer des mets avec des ingrédients riches en caroténoïdes, tels que les pommes jaunes, les poires, les coings, les carottes, le safran et les algues kombu et nori, puis les marier avec les vins blancs tout aussi riches en caroténoïdes (chardonnay, chenin blanc, sauvignon blanc et riesling), sans oublier les cidres, qu'ils soient secs, tranquilles ou pétillants, et même le cidre de glace!

Voici deux pistes inspirantes en la matière. Premièrement, le carré de porc aux pommes jaunes et au safran, que vous servirez avec le tout aussi pénétrant Chardonnay Oyster Bay 2007 Marlborough, Nouvelle-Zélande (18,70$; 10383691). Un blanc sec à l'inspirant et exaltant nez de fruits exotiques, jouant dans la sphère aromatique de l'ananas et de la papaye, suivi d'une bouche tout aussi exaltante, pleine, généreuse, mais aussi fraîche et vitalisante, aux longues saveurs de fraise, de pomme golden, avec un petit relent floral rappelant le safran.

Vous pourriez aussi opter pour un bordeaux blanc, comme le nouveau Château Haut Mouleyre 2005 Bordeaux, Bernard Magrez, France (25,05$; 10887282), qui en étonnera plusieurs par son ampleur, son moelleux et sa grande générosité pour son rang. Le nez, qui a besoin d'une bonne oxygénation en carafe, s'exprime par de subtiles et profondes notes de miel, de safran et de pomme golden. La bouche suit avec un patiné de texture unique et une persistance de grand vin, où l'acidité discrète laisse place à une épaisseur veloutée rarissime chez un jeune blanc bordelais.

Enfin, à l'heure du dessert, cuisinez un délectable gâteau renversé aux pommes golden (ou jaunes) et au safran, et remplissez vos verres de votre cidre de glace québécois favori, qu'il soit de La Face Cachée de la Pomme ou des cidreries du Minot ou de Michel Jodoin. Il donnera écho à ce plat pensé sur mesure pour créer «photo» avec lui. Après quoi, la pomme n'aura plus de secret pour vous! À samedi prochain.

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François Chartier est l'auteur du nouveau guide des vins La sélection Chartier 2009 (disponible en octobre), aux Éditions La Presse. On peut lui envoyer des questions par le blogue Internet www.francoischartier.typepad.com ou par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal H2Y 1K9