Le dégustateur le plus influent sur la planète vin, l'Américain Robert Parker, dont les notes font chaque année trembler le vignoble bordelais, met en garde contre une hausse des prix du Bordeaux susceptible d'entraîner une «bulle» et une disparition des cartes des restaurants américains.

Les tractations vont bon train sur la place bordelaise (sud-ouest de la France) pour fixer les prix de la nouvelle cuvée, attendus fin juin, depuis que Robert Parker a publié ses notes début mai à l'issue des dégustations en primeurs.Mais le célèbre critique de 63 ans juge que «ce serait une erreur» d'augmenter à nouveau les prix des grands châteaux, après les niveaux déjà vertigineux atteints pour le millésime précédent, dans une interview à l'AFP.

Si 2010 sort à des «prix plus élevés que 2009, on peut s'attendre à une crise financière ou à l'émergence d'une bulle pour les grands vins de Bordeaux», avertit-il, préconisant plutôt une baisse de 10 à 20%.Le verdict de Robert Parker sur les bordeaux pèse d'un tel poids depuis une trentaine d'années que le critique de Monkton (Maryland) est baptisé le «pape» ou «le gourou».

Les viticulteurs disent même souffrir de «parkerite» dans l'angoisse de la publication des notes.«Le marché est essentiellement commandé par Parker», observe Jean-Luc Thunevin, propriétaire et négociant à Saint-Emilion. Pierre Lurton, président des châteaux d'Yquem et Cheval Blanc, souligne «l'influence considérable» de cet «athlète de la dégustation».«Parker, c'est le seul qui fait vendre, Bordeaux devrait lui ériger une statue ou baptiser une place Robert Parker», avance l'oenologue-conseil Michel Rolland. «Il n'y a pas de meilleur promoteur pour les vins de Bordeaux que Parker», assure Sylvie Cazes, présidente de l'Union des grands crus.Son influence mondiale, Robert Parker veut bien l'admettre : «Je suis conscient qu'en donnant une évaluation, j'ai une influence dans la fixation des prix sur le marché international mais je n'y peux rien».«Je ne cherche pas à être l'ambassadeur de Bordeaux, je veux juste montrer la qualité et l'importance» des Bordeaux et «je ne pense pas que ce soit de ma responsabilité de leur dire comment fixer leurs prix», poursuit le fondateur du Wine Advocate, publication qui compte 18 000 abonnés et 41 000 sur son site internet.

Si ce «passionné» des crus bordelais sort de sa réserve traditionnelle, c'est qu'il est «attristé» de voir dans son pays la «perte de parts de marché des Bordeaux sur les cartes de restaurants ou chez les cavistes, car les prix semblent trop élevés».«Bordeaux c'est l'épicentre des meilleurs vins» du monde et «je déteste voir son image abîmée, au moins aux États-Unis, parce que les gens ont tendance à croire que les prix sont trop chers», explique-t-il, alors même que «des milliers de petits châteaux ont de grandes difficultés à vendre leurs vins».«Bordeaux se concentre trop sur les marchés riches d'Asie», déplore-t-il, estimant que ce serait «un jeu très dangereux d'augmenter les prix, car l'économie mondiale est très, très fragile». «Les baisser par rapport à 2009 serait une démarche intelligente», un «signe très positif pour les marchés et pour les consommateurs», préconise-t-il.Après des prix en primeurs du millésime 2009 qu'il juge trop élevés, Robert Parker redoute que «ce soit la même chose» pour 2010, un «autre millésime exceptionnel» bien que d'un niveau «légèrement» inférieur à ses yeux.«C'est un moment décisif pour Bordeaux», tranche le critique.