Très actifs au Moyen Age dans l'activité brassicole, les moines avaient fui la France en grand nombre à la Révolution (1789-1799) et emmené avec eux, entre autres, leurs recettes dans ce domaine.

Contrairement à la Belgique où la bière trappiste a fait florès, la France n'avait plus connu de bière d'abbaye produite sur son sol par les moines eux-mêmes, à l'exception d'une dans le Massif central, à Sept-Fons, pendant quelques années, au début du XXe siècle.

La bonne nouvelle se répand déjà dans le monde de la bière artisanale. «Les retours sont bons. Pour moi c'est un grand événement, un des plus importants que j'ai connus dans ma carrière entamée en 1973», confie à l'AFP le biérologue de renom Hervé Marziou, 69 ans, qui a conseillé les moines normands.

Commercialisation en août d'une version non encore définitive, véritable lancement début décembre: la bière Saint-Wandrille «brassée par les moines» s'écoule à un rythme soutenu. Quelque 25 000 bouteilles de 50 cl, au prix de 4,50 euros l'unité, ont déjà été vendues dans la boutique de l'abbaye, ou dans d'autres établissements monastiques de France, par internet ou encore par l'intermédiaire de quelques cavistes et épiceries fines, comme le Comptoir des Abbayes à Paris.

Dans les abbayes bénédictines, le travail est impératif pour respecter la règle de Saint Benoît (milieu du VIe siècle) qui édicte: «Ils sont véritablement moines s'ils vivent du travail de leurs mains comme nos pères et les apôtres».

À Saint-Wandrille, les moines ont produit différentes choses, comme de la cire encaustique, puis se sont lancés dans la microcopie, dans les années 70. Mais ils n'ont pu suivre l'évolution technologique et ont cédé leur affaire.

Amère mais pas trop

Il fallait trouver une autre activité. Car l'abbaye, classée monument historique, a besoin d'argent pour de lourds travaux de restauration.

«En août 2014, nous nous sommes réunis et l'idée de la fabrication d'une bière a germé», raconte frère Benoît, 29 ans, chargé de la communication.

Parmi les trente moines, deux se sont lancés dans l'aventure, frère Matthieu, 31 ans, et frère Christian, 70 ans, qui vont aller se former au lycée agricole Biotech» de Douai, dans le nord de la France.

À leur retour ils se sont exercés sur un kit de brassage offert par des Anglais.

Un comité de dégustation s'est accordé sur le goût - amer mais pas trop - et la couleur, plutôt caramel, entre la blonde et l'ambrée.

«Ils se sont démarqués des bières belges aux notes sucrées mais avec moins d'amertume que les bières typiques du nord de la France», explique Thierry Cauet, leur formateur de Douai, qui estime que ce goût va plaire dans de nombreuses régions françaises.

En fait, cette bière a une petite touche venant du voisin britannique. Quatre houblons de variété anglaise, mais cultivés en France, entrent dans sa composition.

«Deux houblons amérisants et deux arômatiques», précise frère Matthieu qui, ignorant tout de la bière au départ, en parle désormais savamment.

Fin 2015, les moines font le grand saut financier et sollicitent un prêt du Crédit Agricole de 750.000 euros pour l'acquisition d'un matériel neuf et automatisé.

La chaîne d'embouteillage permet de remplir 1500 bouteilles à l'heure. L'objectif de production est de 80 000 litres par an.

Outre les deux frères brasseurs, d'autres sont impliqués dans le marketing ou bien le remplissage des cartons.

La bière titre 6,5 degrés, proche de 6,49, un chiffre qui aurait rappelé l'année de fondation de l'abbaye...

Les revenus obtenus vont permettre la réfection d'une aile de l'abbaye, menacée d'effondrement, l'ouverture d'une nouvelle hôtellerie pour des retraitants de plus en plus nombreux, la consolidation des ruines de l'ancienne abbatiale et la restauration du cloître gothique dont une frise représente une feuille de ... houblon.

Signe que l'esprit de la bière a déjà soufflé à Saint-Wandrille.