Longtemps érigée en symbole de liberté, l'unique brasserie du Soudan du Sud est désormais au bord de la faillite, tandis que la plus jeune nation du monde subit, depuis 19 mois, une guerre civile.

Le géant britannique de la boisson SABMiller a ouvert la brasserie en 2009, deux ans avant que le Soudan du Sud ne se sépare du Nord.

La bière blonde ainsi produite, alcoolisée à 4,2%, fut baptisée White Bull, un clin d'oeil au bovin, fierté nationale.

La bière est aussi un baroud d'honneur face à la charia, loi coranique en vigueur au nord du pays, majoritairement musulman, où l'alcool est banni.

Construite à l'extérieur de la capitale Juba, cette brasserie a représenté l'investissement le plus important - 46 millions d'euros - de ce nouveau pays, hors industrie pétrolière. La bière constitue une des rares activités à faire entrer des recettes fiscales, si convoitées.

Mais la guerre civile, le marasme économique, la pénurie d'essence et le manque de devises étrangères ont mis en péril la brasserie sud-soudanaise de SABMiller.

«Il sera difficile de poursuivre notre activité», affirme le directeur opérationnel Carlos Gomes. Ce cadre déplore la pénurie d'essence pour faire tourner les groupes électrogènes et le manque de trésorerie nécessaire à l'acheminement des matières premières.

L'eau mise à part, tous les ingrédients de la White Bull sont importés: les fermes sud-soudanaises sont incapables de fournir graines, sucre et levure en quantités suffisantes.

«Une centaine d'ouvriers, soit un quart de notre effectif, est déjà au chômage technique» relève Carlos Gomes.

Au plus fort de son activité, la brasserie produisait des dizaines de milliers de litres de bière au quotidien, sans compter les sodas et autres boissons. L'entreprise appartient à la société Southern Sudan Beverages (SSBL), une filiale du britannique SABMiller.

Dans ses vastes entrepôts sud-soudanais, la production est aujourd'hui figée. Un «dommage de guerre» supplémentaire, pour cette jeune nation.

Risques de faillites en cascade

La guerre civile au Soudan du Sud a débuté en décembre 2013, quand le président Salva Kiir a accusé son ancien bras droit Riek Machar de préparer un coup d'État. S'en est suivie une purge sanglante qui a déchiré le pays, déjà miné par la pauvreté.

Selon les Nations unies, plus de 70% des 12 millions d'habitants ont besoin d'une aide alimentaire, certaines zones étant au bord de la famine. La guerre civile a déjà fait des dizaines de milliers de victimes.

Selon Carlos Gomes, la situation préoccupante de sa brasserie «devra être réglée rapidement», ou bien «nous aurons à prendre une décision très difficile, que nous rechignons à prendre», soit la fermeture pure et simple de l'établissement.

«Nous refusons un tel sort, car cela enverrait au monde un message négatif quant au développement futur du Soudan du Sud.»

Le départ du brasseur affecterait aussi des milliers de personnes qui dépendent de la distribution et de la vente de cette boisson.

Des patrons de bars craignent qu'une telle fermeture les oblige à importer les onéreuses bières de l'Ouganda voisin, où les prix ont bondi de plus d'un tiers ces derniers mois.

«Je suis vraiment inquiet pour ma buvette» raconte Joseph Laku, modeste tenancier. «Imaginez tous ceux qui, comme moi, font tourner une petite affaire. Iront-ils à Kampala, en Ouganda, pour se fournir en bière? Ils n'auront d'autre choix que de fermer à leur tour.»

Au Soudan du Sud, les entreprises de toutes tailles traversent une période tourmentée, tandis que les prix des aliments et de l'essence s'envolent.

Le carburant revendu au marché noir atteint un prix cinq fois plus élevé que celui des stations essence. Toujours au marché noir, la livre sud-soudanaise s'échange contre un seizième de dollar, soit cinq fois plus que le taux officiel.

«Presque tout mon salaire est englouti par l'achat de nourriture» se lamente Abe Johnson, enseignant à l'école primaire. «Le prix des marchandises grimpe chaque jour.»

Le prix d'un sac de farine de 25 kilos a plus que doublé ces derniers mois. Idem pour le riz, les haricots et l'huile de cuisson.

Des médiateurs régionaux, soutenus par le président américain Barack Obama lors de son récent voyage au Kenya et en Éthiopie, ont donné jusqu'au 17 août aux rivaux sud-soudanais pour mettre un terme à leur conflit.

«Nous prions pour qu'une paix soit signée ce mois-ci et que notre situation s'améliore enfin», espère Abe Johnson.