Faire sa bière chez soi: c'est le défi relevé par des milliers d'amateurs en France qui produisent, dans un coin de cuisine ou de garage, leur petite cervoise, à contre-courant des circuits traditionnels.

À Strasbourg, dans la cuisine de son trois-pièces, Lucas Weibel se tient accroupi devant sa petite «brasserie» presque clandestine, observant les fines bulles libérées par un «barboteur», sorte de tuyau en verre qui dépasse du haut d'un fût en plastique.

Le bièrologue alsacien Jean-Claude Colin estime entre 70 000 et 80 000 le nombre d'adeptes du «homebrew» (brassage à domicile) en France: des particuliers qui consacrent leur temps libre à l'autoproduction de bières en quantité de 20 à 30 litres pour leur consommation personnelle.

«Quand ça bulle, c'est que ça marche. C'est comme la choucroute», explique à l'AFP ce technicien dans l'informatique de 32 ans. Il vient de réussir la première étape de son nouveau brassin: un mélange de concentré de malt et de houblon auquel il a ajouté de la levure et du sucre.

Le trentenaire doit désormais s'armer de patience: 6 à 8 semaines de fermentation sont nécessaires avant de passer à la mise en bouteille.

Tentés par l'expérience, Lucas Weibel et son épouse ont brassé leur première bière il y a deux ans en se procurant un nécessaire de brasserie pour une cinquantaine d'euros sur le Net, utilisant un moût déjà concentré conditionné en boîte de conserve.

Né en Grande-Bretagne et aux États-Unis, le mouvement des brasseries à domicile surfe sur le boom des brasseries artisanales, environ 600 aujourd'hui.

En France, la loi autorise la production de boisson fermentée pour la consommation personnelle et non commerciale.

«Ça fait partie d'un délire global de faire des choses soi-même», reconnaît le jeune homme. «C'est comme faire pousser des plantes, on part de zéro», complète son épouse Kémo, 31 ans.

S'il ne connaît pour l'instant ni le nom, ni le goût de sa prochaine mousse, Lucas est néanmoins sûr d'une chose: «Ce sera une bière de Noël», confie-t-il en surveillant la température de sa cuve.

Une réaction à la mondialisation

Jean-Claude Colin voit dans le brassage amateur «un vrai phénomène» et une réaction à la mondialisation.

«Avant, les houblonniers vendaient le houblon à la tonne. Aujourd'hui, pour répondre à la demande des amateurs, ils sont obligés de le proposer en sachets», fait-il remarquer.

Sur la Toile, des centaines de forums et de sites spécialisés proposent aux amateurs d'échanger leurs expériences. Et les brasseurs amateurs ont même chaque année un salon à Saint-Nicolas-de-Port (Meurthe-et-Moselle).

Cette tendance est «très forte» également en Belgique, observe Raymond de Saegher, un cameraman belge indépendant, brasseur à ses heures, qui se rend parfois en Alsace pour s'approvisionner en houblon.

Depuis deux ans, il s'attache avec trois amis à percer les secrets de la bière, dans une grange de la périphérie bruxelloise où il possède une installation capable de produire 150 litres en une fois.

«C'est la belle et bonne vie. Il y a quelques jours on a fait une stout [de type Guinness] avec différents malts torréfiés aux goûts brûlés et de l'avoine, du houblon aromatique acheté dans une coopérative à Strasbourg», explique le quinquagénaire qui ne choisit que des «produits locaux».

«C'est le retour des brasseries de ''papa''. Les gens font des bières avec ce qu'ils ont sous la main: de la farine de châtaigne, de la fleur de sureau, des bourgeons de sapin... Cela donne une palette de goûts assez extraordinaire», estime Jean-Claude Colin. «On retourne aux origines de l'Antiquité, au pain liquide. On retrouve une bière ménagère faite à la maison qui se déguste entre amis», ajoute-t-il.

Et certains se prennent au jeu. Parti d'un simple loisir, Benjamin Pastwa, 31 ans, oenologue de formation a créé à Strasbourg il y a deux ans sa microbrasserie commerciale.

Aujourd'hui sa «Bendorf» et sa série de «cycles éphémères» affichent une production insolente de 350 hectolitres annuels (35 000 l), vendue entièrement dans les bars et restaurants de la région et sur le marché de Noël.