Ses arômes fins et ronds, le whisky bio des époux Cordelle les doit à une technique unique: la distillation sous vide, largement utilisée dans la parfumerie mais encore rarissime pour la production de spiritueux.

À Saint-Jean-en-Royans (Drôme), dans le grand chai de sa Distillerie du Vercors, Éric Cordelle, 46 ans, est heureux comme un enfant découvrant un trésor. Un verre à la main, la tête au dessus d'un fût, à la lumière d'un projecteur, il savoure le travail accompli.

Après trois années en fûts, cet alcool limpide deviendra whisky.  Les premières bouteilles, fruit des distillations menées depuis deux ans, seront proposées à la vente dès l'automne 2019.

Il y a 40 ans, le petit garçon qu'il était avait déjà dessiné sa distillerie. L'endroit ressemblait à un laboratoire, plein de fumée, et l'alambic s'écrivait avec deux L et un K.

Sa mère a ressorti ce dessin alors qu'il venait de se lancer dans la création de sa propre distillerie, avec sa femme. Il était ingénieur, elle était avocate, ils voulaient changer de vie.

«On voulait se lancer dans un projet qui nous fasse plaisir, qui ne soit pas en ville, et qu'on puisse partager», se souvient Anne-Hélène Cordelle, 46 ans.

Elle aime «la terre», lui «les machines». Alors, de longues discussions plus tard, le projet a mûri loin de leur Bretagne: désormais, ils fabriqueront du whisky.

Mais pas n'importe lequel: «un whisky différent», «avec des arômes un peu particuliers», explique Éric Cordelle. Et là, «l'idée de distillat à basse température a surgi».

«Y aller doucement»

L'alcool contenu dans la bière - la matière première du whisky - s'évapore dans l'alambic à 78 degrés au niveau de la mer. Mais plus la pression atmosphérique diminue, plus le point d'ébullition s'abaisse. Et, sous vide, on peut extraire l'alcool à très basse température.

«Ça va faire des choses beaucoup plus fines, beaucoup plus fondues, avec beaucoup de rondeurs», relève-t-il. Il y a, selon lui, «tout un tas d'arômes abîmés» en cas de chauffe importante. Alors, «surtout, y aller doucement».

Pour cette distillation sous vide, deux alambics sont nécessaires: le premier en inox qu'Éric Cordelle a lui-même imaginé «pour travailler la pression», l'autre en cuivre, venu de Cognac, pour «améliorer les arômes, apporter de la complexité».

La bière utilisée affiche au départ 7 % d'alcool. À la sortie du premier alambic, l'alcool titre à 25 %, puis à 60 ou 70 % à la sortie du deuxième: «le taux nécessaire d'alcool pour mettre en fût». Soit «deux journées complètes de distillation».

Si cette technique est largement répandue dans l'industrie du parfum, «potentiellement, je suis le seul au monde à le faire» pour le whisky, se félicite Éric Cordelle.

Avant de lancer leur projet un peu fou, il a fallu aux Cordelle trouver un lieu disposant d'une source d'eau pure. Alors ils ont cherché en Bretagne, dans le Gers, en Alsace...

«On a mis deux ans et demi pour trouver le bon endroit»: un petit coin de paradis du Vercors, la nature à perte de vue, la Lyonne coulant à leurs pieds, et du terrain pour cultiver une petite partie de l'orge nécessaire à leur production certifiée bio.

Mais «qui dit eau de source, dit très vieux bâtiments», nécessitant de gros travaux, surtout lorsqu'il faut y installer une distillerie, avec ses cuves, ses alambics et son moulin.

L'ingénieur d'hier a facilité la vie de l'artisan d'aujourd'hui. «Il a fallu tout construire de zéro», faire preuve «de beaucoup de patience et d'endurance», dit-il.

Mais les Cordelle ont maintenant fait le plus dur. Depuis leur ancienne magnanerie veillée par un majestueux séquoia vieux de 225 ans, le couple imagine déjà vendre son single malt à l'international. Avec, toujours, l'envie «d'y mettre du coeur».