La découverte récente d'archives du 18e siècle attribuant la paternité du pisco au Chili a ravivé une vieille rivalité avec le Pérou voisin, qui présente avec fierté cette eau-de-vie de raisin comme sa boisson nationale.

C'est un groupe de chercheurs chiliens, menés par l'Argentin Pablo Lacoste, qui a fouillé dans les archives nationales de Santiago pour y trouver un document qui, selon eux, confirme de manière irréfutable que le pisco est chilien.

Dans ce texte de 1773, un notaire de l'Empire espagnol signale la vente de pisco dans une hacienda du nord du Chili, utilisant ce mot un siècle avant même que le Pérou ne commence à l'employer.

«La preuve contenue dans ce document établit que le pisco est une eau-de-vie qui a commencé à être fabriquée au Chili au 18e siècle», a assuré l'expert Pablo Lacoste lors d'une conférence de presse organisée mardi par l'Association de producteurs de pisco chilien.

Les chercheurs avancent une autre preuve: une étiquette commerciale portant le nom de pisco, utilisée au Chili en 1882 donc bien avant son voisin où une étiquette similaire a été repérée pour la première fois en 1922.

La découverte a immédiatement fait réagir le Pérou, où l'eau-de-vie est source de fierté nationale et la boisson incontournable pour accompagner le moindre toast.

L'histoire du pisco remonte à la colonisation espagnole au 16e siècle, lorsque la vigne a été introduite dans les Andes.

Frisant les 40 degrés, il peut se boire pur, mais il est plutôt servi sous forme de «pisco sour», un cocktail confectionné en y ajoutant du jus de citron, du blanc d'oeuf, du sirop et de la cannelle.

Et les historiens péruviens sont formels: c'est bien leur pays qui l'a inventé. Ils citent pour cela des documents évoquant l'élaboration de pisco au Pérou dès 1613.

Sujet sensible

«L'information la plus ancienne concerne Pedro Manuel "Le Grec", considéré comme le premier producteur de pisco au Pérou», affirme à l'AFP l'historien Eduardo Dargent, admettant toutefois qu'à l'époque, on n'employait pas le mot «pisco» mais on parlait plutôt d'eau-de-vie de raisin de Pisco.

«Ici, ce qui prime, c'est la localisation géographique et le port de Pisco (qui donne son nom à la liqueur, ndlr) est au Pérou», renchérit l'expert péruvien José Moquillaza.

Consulté par l'AFP, Pablo Lacoste balaie ces arguments: «Une chose est l'eau-de-vie, l'autre est le pisco. Au Pérou il y avait de l'eau-de-vie, qui est le résultat de la distillation. Mais dans ce pays il n'y a aucun document antérieur à 1825 qui utilise le concept de pisco pour nommer cette eau-de-vie».

La paternité du pisco est une vieille dispute entre Santiago et Lima, qui a obtenu plusieurs victoires à ce sujet, devant l'Union européenne ou encore l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).

De chaque côté de la frontière, on plaisante fréquemment sur le sujet, on revendique la meilleure préparation du «pisco sour» et on célèbre dignement le Jour national du pisco.

L'eau-de-vie s'ajoute à une longue liste de produits dont les deux pays affirment avec force être le berceau, comme les pommes de terre ou un dessert à base de dulce de leche (confiture de lait) appelé «soupir de Lima».

Mais la querelle autour du pisco est un sujet sensible. Il y a une semaine au Chili, un présentateur du journal de la télévision nationale a été renvoyé. Sa faute? Avoir utilisé l'expression «pisco péruvien» lors d'un entretien avec un producteur de ce pays.

Les relations diplomatiques des deux voisins, qui s'étaient affrontés lors d'une guerre à la fin du 19e siècle, ne sont pas non plus de tout repos.

En janvier 2014, l'un de leurs derniers litiges, initié par une plainte du Pérou contre le Chili, a donné lieu à l'établissement par la Cour internationale de justice de La Haye d'une nouvelle frontière maritime.

Au-delà de ces différends, restent les habitudes de consommation: le Chili est aujourd'hui, avec les États-Unis, l'un des premiers pays où s'exporte le pisco produit par le Pérou.