Boisson typique de la Syrie, l'arak est l'une des victimes collatérales de la guerre, qui a fait fondre le nombre de ses amateurs, bouleversé le marché local et provoqué une explosion des contrefaçons.

«Au restaurant, quand l'arak est faux, soit je rends la bouteille, soit je l'offre à ma mère qui l'utilise pour laver les vitres et les lustres ou pour purifier les assiettes», témoigne Youssef, un ingénieur de Damas. «Moi, je m'en sers comme aseptisant pour les mains tant la teneur en alcool est forte.»

Parfois comparé à l'ouzo, au raki ou au pastis, l'arak, composé de jus de raisin et de 2,5 grammes d'anis par litre, est l'alcool traditionnel préféré des Syriens. «C'est comme le whisky en Écosse ou le vin en France. Il y en a une bouteille sur chaque table», explique Emile Awad.

Ce quinquagénaire dirige Al Mimas, l'une des deux compagnies qui se partageaient le marché avant la guerre. Implantée dans un village chrétien près de Homs (centre), Al-Mimas fournissait le littoral, le centre et l'est, tandis que Rayan, basée dans la localité druze de Soueida (sud), alimentait Damas et la partie méridionale du pays.

Avant la crise, toutes deux contrôlaient 85 % du marché, mais aujourd'hui c'est moins de la moitié. «Nous vendions entre 80 et 100 000 litres par mois, soit environ 125 000 bouteilles. Désormais nous atteignons à peine le tiers», se lamente Emile Awad.

Cette chute s'explique par la désertion des touristes, la conquête de pans entiers du territoire par des milices islamistes qui bannissent la consommation d'alcool, mais surtout par la chute considérable du niveau de vie.

«Plus le même goût»

Les grandes marques sont désormais concurrencées par des contrefaçons ou des marques utilisant de l'alcool pur mélangé à un ersatz d'anis, nettement moins chères, et par l'arrivée sur le marché de l'arak libanais.

«Notre production est copiée partout. Les gens croient déguster de l'arak, mais ils boivent autre chose. L'arak frelaté nous porte un tort considérable, son coût étant inférieur de moitié au nôtre. La compétition ne porte plus sur la qualité, mais sur les prix», explique M. Awad.

Même à Zaidel, où se trouve l'usine, il a eu la mauvaise surprise de découvrir de fausses bouteilles de Mimas sur les tables lors du mariage d'un proche. Choqué, il a été voir le père du marié qui lui a avoué que le prix lui avait paru plus attractif.

La concurrence est telle que le gouvernement a accepté de baisser le 1er mars la taxe sur la boisson de 35 à 20 %, et le prix de la bouteille de 675 à 600 LS (2,4 dollars), toujours plus chère que les 300 à 450 LS (1,8 dollar) de ses concurrentes.

Sleimane Haïdar, 67 ans, n'a déboursé que 250 LS pour acheter une bouteille d'Abou Khalifa, une nouvelle marque apparue récemment. «Je bois de l'arak depuis 50 ans. C'était délicieux, mais aujourd'hui il n'a plus le même goût. Je n'achète plus du Mimas ni du Rayan car la majorité des bouteilles sont frelatées, alors autant prendre une marque moins chère», explique cet habitant d'Akrama, un quartier à majorité alaouite de Homs.

Propriétaire du débit de boisson Pacha, Abdel Rahamane Tarraf se fait un point d'honneur à ne vendre que du vrai Mimas. «Je refuse d'en acheter du faux, même si ma marge bénéficiaire était 10 fois plus grande. Je ne veux perdre ni la confiance de mes clients ni ma réputation», assure-t-il.

«L'arak frelaté m'a donné une terrible migraine et je me suis juré de ne plus recommencer», témoigne cet homme de 41 ans.

Au restaurant Cléopatra de Homs, Chadi Hammoud, qui mange en compagnie de deux jolies femmes, agrémente les plats syriens avec de l'arak, «la boisson que l'on sert en famille ou entre amis».

«Quand il est bon, nous plaisantons, nous discutons avec l'esprit joyeux; mais quand il est faux cela casse l'ambiance», résume ce fonctionnaire de 38 ans.