Deux géants du whiskey, l'américain Jack Daniel's et le Britannique Diageo, ont déterré la hache de guerre aux États-Unis. Le butin qu'ils se disputent? L'appellation «Tennessee whiskey».

Le whiskey du Tennessee «est attaqué», assure d'un côté Brown-Forman, l'entreprise fabriquant chaque année quelque 11 millions de caisses de Jack Daniel's.

Sous l'impulsion du distillateur, une loi a été votée l'an dernier par l'État du Tennessee pour donner pour la première fois une définition juridique au «Tennessee whiskey».

Ce nom est désormais réservé à l'eau de vie fabriquée dans l'État à partir d'au moins 51% de maïs, vieillie dans un fût de chêne neuf passé à la flamme et filtrée à travers du charbon de bois d'érable. Soit la recette du Jack Daniel's.

Diageo, le leader mondial des spiritueux avec des marques comme le whisky Johnnie Walker, la vodka Smirnoff et la bière irlandaise Guinness, en a pris ombrage.

Le groupe n'a écoulé, via sa filiale George Dickel, que 130 000 caisses de «Tennessee whiskey» en 2013. Mais il a pris le fer de lance de la contestation contre cette loi, qui favorise injustement à ses yeux son concurrent.

«L'an dernier, grâce à des manoeuvres fallacieuses et trompeuses, Brown-Forman a persuadé les législateurs de définir le Tennessee whiskey selon la recette de Jack Daniel's, éliminant dans les faits la flexibilité dont les producteurs de whiskey ont joui pendant plus de 130 ans dans l'État du Tennessee» et entravant l'innovation, estime ainsi Guy Smith, vice-président directeur de Diageo en Amérique du Nord.

«Diageo est d'accord pour discuter de normes qualifiant le Tennessee whiskey, mais il est impératif que cette norme reflète les contributions de l'ensemble des fabricants de whiskey au Tennessee, petits et grands, et pas seulement celle d'une entreprise tyrannique, comme c'est le cas actuellement.»

Comme le champagne ou le cognac

L'entreprise soutient donc avec véhémence des amendements abolissant ou modifiant la loi de 2013 déposés devant des commissions du Parlement local. Des auditions sur le sujet sont prévues mardi.

Elle est soutenue dans son combat par quelques artisans du cru, dont Phil Prichard, fondateur de la distillerie du même nom en 2000.

«Quand j'ai fabriqué mon premier whiskey, j'étais résolu à honorer l'héritage de mon aïeul», Benjamin Prichard né en 1761, «en faisant un whiskey qui ressemblerait à celui qu'il aurait fait. Je ne veux pas faire un whiskey qui suit les règles de Jack Daniel's», explique-t-il. «On a plein de réglementations nationales définissant notre produit, mais c'est à nous de choisir comment combiner les ingrédients et les techniques utilisés pour créer ces produits».

D'autres acteurs arguent de la difficulté de trouver des barils de chêne neufs.

La fédération professionnelle du secteur des spiritueux aux États-Unis, Discus, ne souhaite pas faire de commentaires sur cette «dispute commerciale» impliquant deux de ses principaux membres, indique son porte-parole Frank Coleman.

L'organisation souligne juste «avoir soutenu la reconnaissance d'une spécificité pour divers spiritueux américains dans plusieurs négociations sur des traités internationaux».

Pour Jeff Arnett, maître-distillateur à la distillerie de Jack Daniel's à Lynchburg, dans le Tennessee, l'appellation «Tennessee whiskey» est justement destinée à garantir à l'ensemble des clients un certain niveau de qualité.

«C'est comme pour le champagne», remarque-t-il. Seuls les vignerons respectant certaines règles peuvent prétendre à ce nom, «ce qui permet au champagne d'être tenu en haute estime, d'être considéré comme de meilleure qualité que du simple vin pétillant. Cela ne veut pas dire que tous les champagnes vont avoir le même goût. C'est la même chose pour le cognac ou l'armagnac.»

D'ailleurs, relève-t-il non sans une pointe d'ironie dans la voix, «Diageo est connue pour défendre ardemment le scotch comme étant un produit purement écossais.»

Le scotch whisky, écossais, s'orthographie K-Y à la fin, de même que le whisky japonais, en revanche, la boisson produite aux États-Unis ou en Irlande, s'orthographie whiskey.