Si vos cocktails des Fêtes manquent de piquant, c'est peut-être vers l'amertume que vous devriez vous tourner. Nous avons réuni quatre barmen qui ont concocté d'intrigants bitters. Si vous vous y mettez dès maintenant, ils seront prêts pour le réveillon...

Sur la table, une vingtaine de petits pots et de sachets de racines, d'écorces, d'herbes, de fleurs et d'épices voisinent agrumes, graines, noix et fruits séchés. Il y aurait de quoi refaire son système immunitaire pour les trois prochains hivers. Mais Maxime Boivin, Antoine Galdes, Ryan Gray et David Schmidt ne sont pas réunis pour faire des teintures médicinales. Ils s'apprêtent à concocter une série d'amers maison qui donneront du punch à nos boissons des Fêtes.

D'abord, il faut savoir qu'il existe deux grandes catégories d'amers, les «buvables» (potables en anglais) et les aromatiques (ou amers à cocktails). Dans la première catégorie, on trouve le Campari, l'Aperol, le Cynar , le Fernet Branca, le Jägermeister, etc., qui se boivent souvent seuls, à l'apéro ou en digestif.

Notre dossier s'intéresse plutôt aux amers à cocktails, dont on ne fait qu'ajouter deux ou trois gouttes pour aromatiser un Manhattan, un Old Fashion, un Negroni ou pour équilibrer, relever toute autre boisson mélangée qui manque de mordant.

On en aurait long, très long à dire sur les amers, au départ utilisés pour leurs vertus prétendument curatives. Si le sujet vous intéresse et que vous lisez l'anglais, le livre Bitters A Spirited History of a Classic Cure-All, de Brad Thomas Parsons, est un incontournable. En plus d'être une mine d'informations sur les origines de ce «miraculeux» produit, on y trouve un grand nombre de recettes d'amers et de cocktails pour les mettre en valeur.

Tradition ancienne

C'est vers la fin du XVIIIe siècle, en Angleterre comme aux États-Unis, que les buveurs ont commencé à utiliser les amers comme «condiments» à cocktails, au lieu de les consommer à des fins médicinales. Au début du XXe siècle, il existait plusieurs centaines de marques de bitters. Mais le Pure Food and Drug Act de 1906, dont l'objectif était d'«empêcher la production, la vente et le transport de nourriture, de marchandises ou d'alcools dénaturés ou portant un étiquetage mensonger», suivi de la prohibition, ont signé l'arrêt de mort de l'amer. Parmi les rares survivants: le grand classique Angostura (1824), du Dr Siegart, puis Peychaud, créé par le pharmacien créole Antoine Amedie Peychaud en 1838.

Le retour

Depuis quelques années, avec le retour des grands classiques du cocktail et des néo-speakeasies dans les grandes capitales comme New York, les bitters font un retour. On compte, en 2012, une trentaine de petites entreprises qui produisent des «potions» toutes plus originales les unes que les autres. Outre les classiques - aromatique ou à l'orange -, des amers à l'ananas épicé, au mole mexicain, au café, au citron Meyer, à l'érable, à la rhubarbe, etc. déboulent sur le marché. Et c'est sans compter tous ceux que les mixologues des bars branchés de la Grosse Pomme produisent dans leurs propres cuisines.

Malheureusement, les amers ne sont pas encore répandus au Québec. On ne trouve chez nous que les marques Angostura, facile à trouver dans les épiceries et supermarchés, et Fee Brothers (vendu aux Douceurs du marché, au marché Atwater). Heureusement, quelques barmen de chez nous voyagent et en rapportent dans leurs valises, car l'utilisation d'amers faits maison dans un bar est interdite par la loi.

Les titulaires de permis d'alcool n'ont pas le droit de conserver des alcools à l'extérieur de la bouteille d'origine, confirme-t-on à la Régie des alcools, des courses et des jeux.

À la maison

Raison de plus de faire ses bittersà la maison, pour sa consommation personnelle. Une fois qu'on a déniché tous les ingrédients, ils sont très faciles à préparer et se gardent indéfiniment. Mieux encore, on invite quelques amis et on se partage le tout trois semaines plus tard. «Il n'y a rien comme les amers pour arrondir un cocktail et le rendre encore plus agréable au goût», affirme Ryan Gray, sommelier et barman au Nora Gray.

Au Café Sardine, où la carte des cocktails est aussi élaborée que le menu, les amers entrent dans la composition de presque toutes les inventions de David Schmidt et de son collègue Graham Warner. «Ils apportent une profondeur et une complexité à nos créations, qui mettent l'accent sur les produits locaux», explique M. Schmidt.

Le quatuor de barmen - complété par le jeune Antoine Galdes, étudiant, flairbartender (ceux qui font voler les bouteilles! voir Kronik.ca) et bientôt propriétaire d'une école de bartending - a créé quatre recettes toutes simples qui permettront de donner du pep à tous nos alcools des Fêtes. En s'y mettant aujourd'hui ou demain, on aura de beaux amers pour défoncer l'année sans regrets, mais avec une toute petite touche d'amertume!