Pendant que les vignerons européens s'interrogent sur les effets du réchauffement de la planète sur leurs vignes, ceux du Québec se réjouissent. Le temps n'a jamais été aussi clément pour la culture de la vigne, si bien que certains experts prédisent que la province produira de grands vins à base de pinot noir d'ici 20 ans.

Le vignoble Les Pervenches, à Farnham, se démarque par ses vins élaborés avec des cépages européens. Bientôt, il ne sera plus l'un des seuls. C'est du moins ce qu'avance le climatologue Philippe Roy, qui étudie depuis un an chez Ouranos l'effet de la hausse des températures sur les vignes du Québec.

Le constat du scientifique est clair : d'ici 2050, le climat du Québec sera idéal pour la culture de variétés européennes, en particulier dans la région de la Montérégie.

Depuis le début de la viticulture au Québec, il y a 30 ans, la saison viticole s'est allongée d'une vingtaine de jours. Les raisins ont plus de temps pour arriver à maturité avant les gels de l'automne. Les fruits sont moins acides, ce qui rend les vins plus agréables en bouche.

Selon Philippe Roy, la grande transformation du vignoble québécois ne fait que commencer. « Ça s'en va en s'accélérant au cours des prochaines décennies », dit-il.

Les cépages européens, aussi appelés vitis vinifera, comme le pinot noir, le chardonnay et le gamay, ont besoin de plus de chaleur et de journées sans gel pour mûrir. C'est pourquoi ils ne représentent qu'une fraction du vignoble québécois. Les producteurs ont toujours privilégié les variétés hybrides qui résistent mieux au froid et, surtout, qui mûrissent plus vite, comme le vidal, le frontenac et le maréchal foch. 

Tout cela pourrait changer, et plus tôt que tard.

« Si j'étais vigneron, je commencerais à prendre un certain pourcentage de ma terre pour développer une expertise avec ces vignes [européennes], dit le chercheur. Le potentiel sera intéressant dans une vingtaine d'années et la vigne prend quelques années à être mature. Alors je commencerais à explorer ça tranquillement. » 

Plusieurs vignerons testent déjà des cépages nobles. C'est le cas du producteur Yvan Quirion. Dans son domaine de Saint-Jacques-le-Mineur, en Montérégie, il vient de remplacer des vignes hybrides par des pieds de gamay. Ces nouveaux plants s'ajoutent au pinot noir, au gewurztraminer, au chardonnay et au pinot gris qu'il cultive depuis 2009.

Propriétaire du Vignoble Rivière du Chêne à Saint-Eustache, Daniel Lalande démarre un nouveau domaine cet automne, cette fois à Oka. Il vient d'y planter 42 000 pieds de vigne, dont le quart sont des vitis vinifera.

LE FROID EST LÀ POUR RESTER

Les résultats de l'étude de Philippe Roy ont eu des échos jusqu'en Oregon, où le chercheur Gregory Jones s'interroge sur le potentiel viticole du Québec. 

Le climatologue croit lui aussi que les vins du Québec seront favorisés par la hausse des températures, mais il apporte des nuances.

Selon lui, les hivers resteront une menace pour la vigne, en particulier pour les variétés européennes. Contrairement aux hybrides, les cépages nobles meurent ou s'abîment lorsque le mercure descend sous les -20 °C.

Les vignerons devront donc continuer à protéger leurs vignes du gel, même en 2050. 

La toile isolante mise au point par Yvan Quirion est l'une des façons de protéger les vignes du gel. À la fin de l'automne, le vigneron étend 60 km de géotextile dans son vignoble et, malgré les grands froids hivernaux, ses vignes tiennent le coup.