Les experts en climat croient que la température mondiale pourrait augmenter de 4 degrés Celsius d'ici la fin du siècle, ce qui serait dramatique dans certaines régions viticoles. Déjà, des vignobles changent leurs façons de faire et introduisent de nouveaux cépages. Survol d'une industrie en plein bouleversement.

Dans le petit village de Pupillin, dans le nord du Jura, en France, Pierre Overnoy termine sa 70e vendange. À l'aube de ses 80 ans, il a vu son vignoble transformé et menacé par de nouvelles maladies. Il observe maintenant avec inquiétude l'impact des changements climatiques.

«En 1947, on a vendangé le 12 septembre, raconte M. Overnoy au bout de son cellulaire. C'était une année très précoce. Aujourd'hui, lors d'une année précoce, on vendange le 12 août.»

Il n'y a pas que les dates des vendanges qui ont changé. Les vins aussi. Ils contiennent plus d'alcool. Ils perdent en acidité. Le phénomène est tel que des chercheurs du monde entier tentent de mitiger les effets des changements climatiques sur les vignes.

Hervé Quénol est de ceux-là. Géographe-climatologue pour le projet européen Life-Adviclim, il parcourt les vignes du monde pour observer ces changements. Selon lui, les régions viticoles telles qu'on les connaît aujourd'hui seront bientôt fort différentes.

«La limite climatique de la vigne a tendance à monter vers le nord pour l'hémisphère Nord et à descendre vers le sud pour l'hémisphère Sud», constate le scientifique.

Joël Rochard, à l'Institut français de la vigne et du vin, explique qu'une hausse de 1 °C équivaut à un déplacement d'environ 180 km du potentiel viticole. Il avance que les régions connues pour leurs blancs, comme la Loire et l'Allemagne, pourraient bientôt se consacrer davantage à la production de vins rouges.

Les régions viticoles situées dans les zones plus fraîches comme la Champagne, la Bourgogne, la Colombie-Britannique, l'Oregon et la Nouvelle-Zélande seront favorisées par la hausse des températures, croit le chercheur américain Gregory Jones. Si, autrefois, leurs raisins manquaient parfois de soleil et de chaleur pour arriver à pleine maturité, ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Pendant ce temps, les régions plus chaudes sont menacées. La hausse du mercure entraîne des sécheresses intenses, et les cépages qui poussaient sans peine jadis arrivent maintenant à maturité trop vite.

Les experts surveillent de près les vignobles autour de la Méditerranée comme ceux du Roussillon, de la Provence et de l'Afrique du Nord. Certaines régions de la Californie, de l'Argentine et de l'Australie arrivent encore à s'adapter grâce à une irrigation abondante. Or, si l'eau vient à manquer, les scientifiques sont clairs: ces vignobles seront rayés de la carte.

Nouveaux cépages, nouveaux vins

Les vignerons ne sont pas restés les bras croisés. Ils protègent leurs grappes du soleil en gardant plus de feuilles sur les plants. Ils enlèvent l'herbe entre les vignes lors des sécheresses pour éviter que les plantes se disputent l'eau.

Certains vignobles récoltent même la nuit, lorsque les raisins ne sont pas chauffés par le soleil, pour conserver l'acidité dans les fruits.

Sauf que ces solutions seront bientôt insuffisantes, disent les chercheurs.

«Est-ce qu'on pourra en 2050 faire le même style de vin au même endroit? C'est le type de question qu'on va devoir se poser», analyse Hervé Quénol.

À Bordeaux, la hausse des températures a déjà transformé les vins rouges. Depuis 50 ans, la proportion de merlot a progressivement diminué dans les assemblages au profit du cabernet-sauvignon. Ce cépage s'adapte mieux, puisqu'il a besoin de plus de chaleur pour mûrir. Le merlot, lui, est de plus en plus sucré.

Les vignerons renouent aussi avec d'anciens cépages. En Champagne, l'arbanne, une variété qui était jugée trop acidulée, pourrait bientôt reprendre sa place dans les assemblages du célèbre mousseux.

L'exemple de la Bourgogne

Plusieurs chercheurs s'interrogent sur l'avenir des vins de la Bourgogne. La région française produit les bouteilles les plus chères du monde, le fruit d'un savoir-faire élaboré depuis le XIVe siècle lorsque les moines ont choisi de privilégier la culture du pinot noir en Bourgogne, au détriment du nouveau cépage de l'époque, le gamay.

«Au lieu d'être légers, élégants et fins, les pinots noirs de Bourgogne seront massifs et concentrés, comme ceux produits dans les régions chaudes en ce moment», croit Gregory Jones.

L'expert américain estime que la syrah pourrait devenir le cépage-vedette de la Bourgogne si la chaleur continue de croître, car le climat de la vallée du Rhône, où est cultivée la syrah en ce moment, s'installe doucement vers le nord. Mais encore faut-il que les vignerons acceptent de rompre avec des siècles de tradition...