«Je veux que ma marque soit aussi reconnue que les grands noms de la viticulture française», lance le frère Marie Pâques, volubile moine vigneron de l'abbaye de Lérins, qui vit dans la quiétude au large de l'agitation cannoise.

Cet atypique commercial d'un vignoble de 8,5 hectares se réveille chaque jour à 4h00 sur sa petite île de Saint Honorat et prie cinq heures dans sa communauté d'une vingtaine de frères bénédictins.

«La règle permet qu'on se parle brièvement à voix basse pour des questions de charité ou de travail. Les repas se font en silence avec une lecture», précise-t-il.

Mais pendant les heures de travail, le frère Marie Pâques, auteur d'un livre prônant les vertus de l'entreprise créatrice d'emplois, parle d'abondance avec employés, clients ou visiteurs.

Il est un des rares à surfer sur internet pour «voir comment le monde réagit», son iPhone de service reste allumé nuit et jour (en mode silencieux depuis une sonnerie intempestive à l'office, raconte-t-il avec humour). Le frère, qui reçoit des personnes en détresse et donne des conférences sur l'équilibre travail-vie personnelle, n'a rien d'un ermite.

Ses fonctions l'ont mené à New York, Moscou, Tokyo ou Hong Kong. Il revient de Paris pour la sortie d'un guide sur les vins. Autant d'occasions pour faire connaître sa marque naissante: «une île, des frères, un grand vin».

«Je vends du vin et je vends des valeurs», résume frère Marie Pâques, «je veux me servir de l'excellence des vins pour promouvoir la fraternité». Et qui sait, faire naître quelques vocations.

Magnifique outil marketing

L'image positive des moines procure un magnifique outil marketing, sans doute lié «au mystère et à l'authenticité de leur vie», analyse le frère.

«Nous ne sommes pas des ordres de mendiants, nous avons le devoir d'essayer de gagner notre vie par le travail de nos mains», explique-t-il. «Il n'y a pas de vie monastique sans prière et sans travail», dit-il, rappelant que «les cisterciens ont été à la racine des grands vignobles bourguignons».

Il y a vingt ans, 1,5 hectare d'une vieille vigne produisait du vin de messe imbuvable. Les moines décident de renouer avec un passé vigneron vieux de 16 siècles.

Deux décennies de plantations, d'équipement, de conseillers de renom ont débouché sur une production annuelle de 40 000 bouteilles, étiquetées au prix fort entre 25 et 190 euros.

«Avec 8,5 hectares, on ne peut faire que de l'excellence pour gagner notre vie», note-t-il. «Mais on ne peut pas dire qu'on s'en met plein les poches!», insiste le moine, heureux dans sa chambre spartiate de 9 m2, anti-thèse du luxe ostentatoire de la Croisette.

Les prix s'expliquent aussi par une production insulaire sans possibilité de sous-traitance. Il a fallu s'équiper «de A à Z» pour toutes les phases de production, y compris l'embouteillage.

Les activités de Saint Honorat (30 employés en hiver, 80 en été) génèrent 4 millions de chiffre d'affaires, dont 850 000 euros proviennent du vin. Insuffisant pour l'autonomie financière et l'entretien du patrimoine.

C'est un autre moine, frère Marie, qui s'est formé pour devenir maître de chai. «J'ai découvert le vin en le faisant», se souvient-il, rieur. «On nous a dit ''démarquez vous des vins de Provence''».

L'abbaye propose aujourd'hui deux vins de base, cinq cuvées confidentielles d'excellence d'un seul cépage, du rouge et du blanc, aucun rosé.

La vigne a été replantée par étapes. Il restait juste des vieux pieds de «clairette». Se sont ajoutées des parcelles de «chardonnay», «syrah», «mourvèdre», «pinot noir» et «viognier».

Le «pinot noir», qui préfère la fraicheur bourguignonne et sert à fabriquer le vin le plus cher (1800 bouteilles de Saint Salonius), s'avère par exemple délicat pour une île ensoleillée. C'est le préféré de frère Marie Pâques, pour «sa puissance et son élégance».

Le maître de chai préfère le Saint Lambert à 125 euros, à base de mourvèdre, cépage méditerranéen, marqué par «sa fraîcheur, sa finesse, ses délicats arômes floraux». Le vigneron, encore studieux pour trouver le bon équilibre de ses vins, reste toutefois modeste, surtout lorsqu'il déguste des grands crus de Bourgogne.