L'univers qu'ont créé Deirdre Heekin et Caleb Barber dans leur formidable coin du Vermont, près de Barnard, est beaucoup plus qu'un vignoble. Voyons-le comme un hommage à l'art de vivre et de recevoir tout en beauté, en simplicité et en générosité.

«C'est pour des moments comme celui-ci que nous faisons tout ça», lance Caleb Barber, à la fin du repas. Nous sommes attablés dans la chaleureuse et rustique maison de ferme du couple, par un radieux vendredi midi de la fin du mois d'août. On voit à l'élégance un peu toscane des lieux que nos hôtes ont un faible pour l'Italie. On le voit aussi à leur manière de nous recevoir comme si nous avions toujours fait partie de la famille.

Ils ont beau être en pleine préparation des vendanges, ce temps fort d'une année de dur labeur, les hôtes-nés prennent le temps de nous faire visiter les jardins, le vignoble, la cave. Caleb a préparé une assiette de charcuteries maison pour accompagner la dégustation. Puis il a récolté des tomates du jardin et assemblé un délicieux plat de pâtes que nous avalons tout en continuant de découvrir les cuvées que Deirdre a gardées pour la table. C'est un de ces moments de grâce dont il faut savourer chaque nanoseconde.

Mais il ne faut pas se leurrer. Le couple travaille fort. Très fort. La vigneronne-sommelière et le cultivateur-cuisinier ont choisi une vie agraire. Comme tous ceux et celles qui vivent de, ou dans leur cas «avec», la terre dans nos contrées nordiques, ils ont des journées colossales. Et puisque ce n'est jamais assez, Deirdre profite de la morte-saison pour écrire de très beaux essais sur sa vie de cultivatrice-vigneronne.

Avant la vigne, ce sont des fleurs, des fruits, des légumes qui ont poussé autour de la maison de ferme que le couple a achetée il y a une vingtaine d'années. Lorsqu'on arrive à La Garagista, c'est d'ailleurs ce foisonnement floral et végétal qui nous accueille et nous éblouit.

Pour tout dire, Deirdre ne croyait pas vraiment au potentiel de la vigne au Vermont. Mais comme elle l'écrit dans son plus récent ouvrage, An Unlikely Vineyard, elle n'aurait jamais non plus pensé qu'elle serait propriétaire d'une ferme.

Puis un jour Caleb et elle ont découvert le vignoble Lincoln Peak, dans la vallée du lac Champlain. Ils en sont repartis avec 100 pieds de vigne! C'est alors que la «fermière accidentelle» est devenue la Garagista, vigneronne de garage. Ont suivi de nombreuses lectures, dégustations, formations en viticulture et en biodynamie. Pourquoi la biodynamie? Parce qu'il n'était pas question que le petit coin de paradis du couple, patiemment ramené à son expression la plus naturelle, soit transformé en enfer chimique pour réussir à faire pousser du raisin.

À tâtons

Tout s'est fait à tâtons, des premières vignes expérimentales plantées dans le petit vignoble «maison» aux autres parcelles qui se sont ajoutées à mesure, près de Vergennes, puis dans la vallée du lac Champlain.

Le potentiel de plusieurs cépages a été mis à l'épreuve, tant dans la famille des vinifera (la noble vigne européenne, qui compte environ 6000 cépages) que dans la famille des hybrides. La vigneronne a fini par choisir des hybrides adaptés au climat nordique. Le riesling et le blaufränkisch (cépage présent en Autriche) ont été arrachés au profit des marquette, frontenac (blanc, gris, noir), la crescent, brianna.

«Les vignes de Vitis vinifera, comme le riesling, demandaient trop de soins, raconte Deirdre Heekin. Il fallait enterrer les vignes l'hiver, etc.» 

«En plus, nous trouvions intéressant de montrer que nous pouvions faire du bon vin avec des cépages peut-être un peu bâtards, moins "purs", mais intéressants quand même et mieux adaptés à nos conditions.»

Et en effet, la douzaine de cuvées que vinifie Mme Heekin, en très petites quantités, démontre la polyvalence des cépages. Prenez Harlots and Ruffians, puis Vinu Jancu. Les deux sont élaborées à partir du cépage la crescent et vinifiées exactement de la même manière, soit avec un peu de macération sur les peaux (vin orange), sans levurage, sans collage, sans filtration et presque sans soufre. Mais le raisin provient de deux vignobles différents, le premier à Vergennes, le deuxième à West Addison. Les cuvées sont complètement différentes l'une de l'autre. Tandis que Harlots exulte des notes fruitées-florales de pêche blanche, Vinu Jancu rappelle le miel avec de discrètes notes mentholées et une légère amertume.

La Garagista produit en ce moment entre 450 et 500 caisses de vin par année. C'est un maximum de 6000 bouteilles! D'ici quelques années, le domaine pourrait produire 2000 caisses, pas plus. Il pourrait aussi accueillir un petit restaurant, qui serait la réincarnation de l'Osteria Pane e Salute, à Woodstock. Parce que oui, par-dessus tout ça, le couple possède depuis 20 ans un microrestaurant où il fait tout - lui, la cuisine à partir des ingrédients du jardin, elle, la sommellerie et le service. Vous avait-on dit que Deirdre Heekin et Caleb Barber travaillaient fort, très fort?

Où boire les vins de La Garagista?

- Le Vin Papillon: 2519, rue Notre-Dame Ouest, Montréal

- Foxy: 1638, rue Notre-Dame Ouest, Montréal

- Pullman: 3424, avenue du Parc, Montréal

- Loïc: 5001, rue Notre-Dame Ouest, Montréal

- Candide: 551, rue Saint-Martin, Montréal

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Deirdre Heekin et Caleb Barber ont fait visiter à La Presse leurs jardins, leur vignoble et leur cave. Ils ont ensuite préparé un plat de pâtes garni de tomates du jardin et ouvert quelques-unes des bouteilles qu'ils produisent sur leur domaine.