L'automne dernier, notre journaliste a visité des vignobles de la Loire et de la Bourgogne avec un petit groupe de sommeliers québécois. Ces grands passionnés du vin ont bien évidemment eu des coups de coeur. Jean Benoit Hinse, nouvellement sommelier à l'Auberge Saint-Gabriel, garde un excellent souvenir de sa visite chez François Cotat, dans le Sancerrois.

Scène de campagne sancerroise: dans une ruelle du bas de Chavignol, nous sommes accueillis par un petit chat blanc et une dame qui passe le balai sur son balcon encore fleuri, malgré l'automne avancé.

Le vigneron sort de sa cave, alerté par nos voix surexcitées. Il avait oublié ce rendez-vous matinal, mais se rend disponible sur-le-champ. Et hop dans le pick-up! Nous allons gravir les mythiques monts Damnés et nous perdre dans les Culs de Beaujeu!

Il n'y a rien de mieux, pour «comprendre» le vin, que d'aller voir comment il se fait. Et à Chavignol, on constate que les vignerons ne mentent pas lorsqu'ils parlent de vendanges manuelles. On ne peut faire autrement dans ces parcelles presque dangereusement pentues, difficiles à travailler. À l'automne, elles se parent d'un feuillage bien jaune, telles les vignes dessinées sur l'étiquette de la cuvée Les Monts Damnés.

Ici, c'est le royaume du sauvignon blanc (avec un peu de pinot noir pour les sancerres rouge et rosé). Cépage parfois mal aimé, entre autres par la faute de ces vins industriels aux arômes tropicaux trop exubérants, le sauvignon s'exprime ici avec la maturité et la profondeur qui font la réputation de François Cotat. Il ne faut d'ailleurs pas le confondre avec son cousin Pascal, qui fait également du très bon vin à Sancerre.

Comme les Raveneau, dont on vous a récemment parlé, François Cotat est un vigneron que les initiés idolâtrent.

Sommeliers et oenophiles ont tendance à aimer les moutons noirs, ceux qui travaillent différemment et font très peu de volume.

La particularité de ce mouton-ci, un homme on ne peut plus simple et discret? «Il est à la recherche d'une maturité et d'une texture qu'on ne trouve pas dans les sancerres génériques. L'acidité est toujours là, mais c'est beaucoup plus rond», explique Jean Benoit Hinse. C'est que le vigneron aime vendanger une, voire deux semaines après tout le monde. Il veut des raisins bien mûrs.

Dans la tradition

François Cotat est l'exemple parfait du vigneron qui travaille dans la tradition, comme son père Paul avant lui, sans remettre en question, en donnant à ses mythiques quatre hectares les soins dont ils ont besoin pour produire de grandes cuvées année après année.

Le vignoble n'est pas biologique, encore moins biodynamique, mais il est cultivé en lutte raisonnée et vendangé manuellement. Au chai, le vigneron ne levure pas, ne colle pas, ne filtre pas et soufre ce qu'il faut pour éviter l'oxydation et une deuxième fermentation. Ses sancerres vieillissent dans des vieux demi-muids de 600 L.

Dans sa petite cave bien rustique et spartiate, il nous a invités à une dégustation. Selon les notes de Jean Benoit Hinse, qui ne manquait pas de photographier CHAQUE bouteille ouverte pendant tout le voyage - environ 300 en 6 jours! -, nous avons goûté à pas moins de 13 cuvées, pour la plupart des 2014, ainsi que de plus vieux millésimes.

«Cotat disait que, pour ses vins plus jeunes, il aimait bien boire des bouteilles ouvertes quelques jours plus tôt, afin de se débarrasser de la possible réduction et de laisser le vin s'ouvrir tranquillement», affirme Jean Benoit Hinse.

Le sommelier a un souvenir vif d'un Grande Côte 1989 que le vigneron avait ouvert expressément pour notre bande de curieux. «Ça sentait le pétrole à plein nez, se rappelle le rouquin. Le nez avait d'ailleurs inspiré un élan poétique au vigneron: "Ça ne sent pas autant l'essence que ça éveille les sens!"»

Pendant un bref instant, le timide paysan a fait de la poésie devant une bande de picoleurs québécois un peu pompettes avant midi.

Photo fournie par Jean Benoît Hinse

Embouteillage des cuvées 2014 au vignoble de François Cotat à Chavignol, dans le Sancerrois.

Les Monts damnés à Montréal

Huit mois plus tard, pour nous rafraîchir la mémoire - il n'y a rien comme une madeleine de Proust! -, nous avons débouché une bouteille des Monts Damnés 2013 au bar à vin Rouge Gorge, à Montréal.

Il y avait du volume et de l'amplitude en bouche, avec plein de fruits, des agrumes confits surtout. Le millésime 2013 était tardif, avec un mois de septembre bien doux qui a concentré les sucres, fait chuter les acidités et affiné les arômes.

C'est un millésime que certains critiques ne jugent pas sacrilège de boire en jeunesse. Mais vous ne regretteriez jamais de tomber, dans 10 ou 15 ans, sur une bouteille de Cotat oubliée à la cave. Encore faut-il réussir à en acheter!

Gracieuseté du sommelier, cette fois, nous nous sommes attaqués aux Culs de Beaujeu 2013. «Il est un peu plus tranchant et floral que Les Monts Damnés, a fait remarquer Jean-Benoit Hinse, avec des notes d'acacia bien présentes.»

Où boire des vins de François Cotat?

Rouge Gorge (Les Monts Damnés 2013, Les Culs de Beaujeu 2013 et La Grande Côte 2013)

Maison Boulud (Les Caillottes 2014, Les Culs de Beaujeu 2014 et La Grande Côte 2014)

L'Express (La Grande Côte 2008)

Grumman 78 (Les Monts Damnés 2014, Les Culs de Beaujeu 2014 et La Grande Côte 2014)

La Chronique (Les Monts Damnés 2013, Les Culs de Beaujeu 2013 et La Grande Côte 2013)

Bouillon Bilk

Le St-Urbain (Les Monts Damnés 2013, Les Culs de Beaujeu 2013 et La Grande Côte 2013)

Le Fantôme (Les Caillottes 2014, Les Monts Damnés 2014, Les Culs de Beaujeu 2014 et La Grande Côte 2014)

Le Leméac

L'Impérial, Granby (Les Monts Damnés 2013, Les Culs de Beaujeu 2013 et La Grande Côte 2013)

Le Clocher Penché, Québec

La Maison de Débauche, Trois-Rivières

Photo fournie par Jean Benoît Hinse

Visite du vignoble de François Cotat à Chavignol, dans le Sancerrois. 

Transformer sa passion en carrière

Passionné de cuisine et de restauration, Jean Benoit Hinse a occupé à peu près toutes les fonctions: serveur, barman, maître d'hôtel puis, après des études à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec et au Wine and Spirit Education Trust, sommelier. Même s'il n'a pas officié aux fourneaux, il est titulaire d'un diplôme de cuisine italienne professionnelle. Sa passion pour le métier l'a amené à travailler à la Maison Boulud, au Ritz-Carlton, pendant deux ans. Il vient aussi de laisser sa marque au Midtown le Sanctuaire comme directeur de la restauration et du bar, puis fondateur du club de vin. On le trouve aujourd'hui à l'Auberge Saint-Gabriel et à la vice-présidence de l'Association canadienne des sommeliers professionnels.

Le souriant et chaleureux rouquin aime pratiquer une sommellerie «sincère et sympathique». Il se met à l'écoute du client avec une véritable envie de lui faire plaisir, selon les goûts et le budget de chacun. Ses goûts personnels se situent entre tradition et modernité. Il évite le commercial, mais ne raffole pas non plus des vins naturels déviants. «J'aime les vins qui reflètent bien leur(s) cépage(s) et leur terroir, avec un penchant pour le bio, quand c'est bien fait.» Plusieurs particuliers nantis confient à Jean Benoit les achats pour leur cave privée. Dans ce cadre, il organise et anime également des soirées privées et des événements d'affaires. Pas mal pour un gars qui a hésité, un temps, avant de transformer ses passions en carrière.

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Les frais de ce reportage ont été payés par Vins de France.

Selfie fourni par Jean Benoît Hinse

Jean Benoît Hinse