Avec une spectaculaire augmentation des ventes de plus de 80% à la SAQ l'année dernière, le vin québécois connaît une expansion sans précédent qu'il doit à la nouvelle stratégie marketing de la société d'État. Et aussi, à une amélioration de la qualité des vins d'ici.

« Je pense qu'on va manquer de vin au Québec, dans les prochaines années », dit Charles-Henri de Coussergues, propriétaire du vignoble de l'Orpailleur. Lorsque le vigneron de Dunham a commencé à faire du vin dans les années 80, il n'y avait que cinq vignobles au Québec, dont le sien et le Domaine Côtes d'Ardoise. Il y a aujourd'hui 130 professionnels qui font du vin dans la province.

L'année dernière, les ventes de blancs du Québec ont surpassé celles des blancs canadiens à la SAQ.

« Nous débutons une étape de gestion de croissance », dit Daniel Lalande, du vignoble de la Rivière du Chêne. En une année, les ventes du vignoble de Saint-Eustache sont passées de 3000 à 6000 caisses à la SAQ. 

Plusieurs étapes ont permis au vin québécois d'élargir son public, dont l'arrivée de la certification Vins du Québec. Cette certification assure que les raisins qui servent à faire l'alcool sont tous québécois. Il n'y a donc pas de moût ontarien dans un vin certifié. Autre étape marquante : cette arrivée fracassante à la SAQ à l'hiver 2014, dans un espace dédié sous le logo Origine Québec. 

Si on inclut les vins de dessert et les mousseux, la croissance des ventes en volume atteint pratiquement 81 %. 

« On a vu un engouement très fort pour les vins québécois et on espère que la vague va se poursuivre. », dit Renaud Dugas, porte-parole de la SAQ.

Durant son exercice 2015-2016, la société d'État compte introduire des sections Origine Québec dans 80 nouvelles succursales, pour un total de 260 où l'on fera la part belle aux vins d'ici. « Nous respectons le rythme de production des vignerons », précise Renaud Dugas, pour expliquer cette installation progressive. 

La vente des vins du Québec représente un peu moins de 1 % du total des ventes de la SAQ. Les vignerons espèrent doubler leur part de marché dans les trois prochaines années. « Nous sommes à la croisée des chemins », dit Yvan Quirion, le nouveau président de l'Association des vignerons du Québec qui regroupe 74 membres. « On ne peut plus blâmer personne si ça ne fonctionne pas. Avant, on était une ligue de garage qui patinait derrière l'église, dit-il. Là, on a le Centre Bell. C'est à nous de prendre la glace et de compter des buts. » 

Finis les mauvais vins?

« Ce qui fait le plus mal au vin, c'est son côté bucolique », lance Charles-Henri de Coussergues. 

Pardon ? 

L'idée de faire du vin a quelque chose de très romantique, explique le vigneron. Et effectivement, des amateurs ont été tentés de se lancer dans la culture de la vigne, ainsi que quelques vedettes bien connues du grand public, ici comme ailleurs. Certains ont bien réussi ; d'autres, beaucoup moins bien. Or, dans une industrie aussi jeune que celle du vin québécois, un mauvais vin laisse un arrière-goût qui reste longtemps dans la mémoire des consommateurs. 

Surtout s'ils ont le choix d'acheter meilleur, pour moins cher, à la SAQ. « Nous sommes assurément le vignoble qui a le plus de compétition qualitative, dit Yvan Quirion, propriétaire du Domaine St-Jacques en Montérégie. Il y a 15 000 bons vins à la SAQ. Il ne faut pas seulement que les vins du Québec soient bons : il faut qu'ils soient parfaits. » Surtout, ajoute-t-il, que les Québécois sont devenus des connaisseurs de vin, parfois même sans s'en rendre compte. 

« Les Québécois sont des néophytes experts ! »

Bonne nouvelle pour les consommateurs : les bouteilles qui sont certifiées Vin du Québec doivent passer un test de goût, fait par un panel d'experts indépendants, dont trois représentants de la SAQ. Un vin doit obtenir une note de plus de 70 %. S'il échoue au test, il peut se reprendre une deuxième fois. Après deux échecs, il est écarté et ne recevra pas la certification. 

Il y a encore du mauvais vin au Québec, mais il devrait y avoir une sélection naturelle dans les prochaines années, maintient Charles-Henri de Coussergues, qui a été président de l'Association des vignerons du Québec de 2007 à 2014. 

Son successeur est d'accord. « Ceux qui ne prendront pas le virage qualitatif ne pourront pas réussir », dit Yvan Quirion. Seulement 34 vignerons ont la certification pour l'instant, mais le nombre va augmenter dans les prochaines années, dit l'agriculteur. Car, explique-t-il, pour obtenir la certification, les vignerons doivent aussi adopter certaines pratiques agricoles, notamment en ce qui concerne la gestion de l'eau, qui demandent des aménagements pour certains. 

La prochaine étape 

Selon Daniel Lalande, du Vignoble du Chêne, Québec doit maintenant doter la viticulture de mesures d'aide permanentes, comme il le fait pour plusieurs autres secteurs agricoles. Car, rappelle le vigneron des Basses-Laurentides, la viticulture est bel et bien de l'agriculture et c'est une industrie qui génère des emplois en région. « On parle du climat qui joue contre nous, mais jusqu'à récemment, dit le vigneron, c'est plutôt le climat politique qui jouait contre nous. Notre beau succès doit maintenant devenir un succès économique. Notre développement passe par des mesures d'aide permanente. » Il est bien difficile de se mesurer à des vins étrangers, dit Daniel Lalande, qui eux ont été subventionnés dans leurs pays d'origine avant d'aboutir sur les tablettes, à côté des vins québécois.

Une question de climat

«Le Québec a le plus beau potentiel du Canada pour le vin», soutient le président de l'Association des vignerons du Québec, Yvan Quirion. Le hic, c'est que nous l'avons mal exploité, dit-il, par manque de connaissances scientifiques.

En Europe, le savoir-faire dans le vin se transmet de génération en génération, dit l'oenologue Jérémie d'Hauteville, qui a lancé en 2006 OEnoQuébec, des services d'experts-conseils pour les vignerons. L'industrie étant très jeune ici, les viticulteurs y sont allés par essais-erreurs. «En 2015, on n'a plus le droit de faire des erreurs», dit l'oenologue qui estime que durant la dernière décennie, le vin québécois a fait des pas de géant. L'élément-clé en viticulture, c'est le climat, dit-il. «Il faut comprendre la vigne et l'adapter au climat d'ici», explique ce spécialiste.

Changements climatiques 

En plus de mieux comprendre le climat, les vignerons doivent s'adapter. Car le climat change. Depuis 34 ans qu'il fait du vin, Charles-Henri de Coussergues a vu les saisons s'allonger au Québec. Ce qui a du bon. «Pour faire de bons rouges, ça prend des saisons longues, dit-il. Pour nous, les changements climatiques ont des avantages.»

Cette année, le gel tardif du mois de mai a fait mal à plusieurs producteurs québécois. Par contre, le printemps 2014 avait aussi été difficile, mais l'année dernière a finalement été excellente pour le vin québécois. «Ça a donné une année de nez», dit Charles-Henri de Coussergues, qui fait 75% de blancs.

Pour l'oenologue Jérémie d'Hauteville, changements climatiques ou non, le Québec est une terre de blancs. Comme l'Alsace, une région française nettement plus reconnue pour ses blancs. «Lorsque nous aurons assez confiance en nous, nous produirons 80% de vins blancs et d'effervescents.»

Des vins qui ont de la personnalité 

Parmi ceux qui feront toujours du rouge, il y aura certainement le vignoble Les Pervenches de Farnham. «Nos blancs ressemblent beaucoup à ce que les gens sont habitués de boire, dit Michael Marler, copropriétaire des Pervenches. Nos rouges sont différents. Personnellement, en tant que consommateur, je tripe sur ce qu'on peut faire en rouge au Québec.»

Le vignoble de Farnham a des certifications biologique et biodynamique, mais pas Vins du Québec. Question de logistique et aussi parce que les 15 000 bouteilles des Pervenches se vendent toutes au vignoble ou dans les restaurants. Comme ses collègues, Michael Marler estime que le vin québécois a beaucoup évolué depuis une dizaine d'années. «On est passé d'un vin fait pour les touristes qui font les routes des vins, donc des rosés ou des blancs sucrés, dit-il, à des vins distribués dans le réseau de la SAQ et recommandés par de nouveaux ambassadeurs.»

Notre grande force, dit Daniel Lalande du vignoble Rivière du Chêne, est précisément de faire des vins différents. «Nous avons des vins de fraîcheur au Québec, avec beaucoup de fruit, dit-il. Il ne faut surtout pas se mettre à faire des vins standards. Il faut que les vins du Québec conservent leur personnalité.»