Du gin artisanal fait à Montréal? Eh oui! Ça y est. Après Brooklyn, Seattle, San Francisco, Vancouver et plusieurs autres, Montréal se met à la microdistillation. Rencontre avec les nouveaux maîtres de l'alambic de la métropole.

Distillerie 1769

Les classiques

Bien que la microdistillation ne jouisse pas encore d'une définition ni d'un statut légal au Québec, on peut s'entendre pour dire qu'il s'agit de production de spiritueux fins à très petite échelle.

Madison Park London Dry Gin est un produit de la toute nouvelle Distillerie 1769 (date historique correspondant à l'ouverture de la première distillerie québécoise). Il vient de remporter une médaille de l'American Distilling Institute, même s'il n'est encore offert sur aucun marché. Vous le verrez toutefois apparaître dans les bars et restaurants de la ville à l'été, puis à la SAQ à l'automne. Des variations sur ce gin et un whisky de seigle suivront.

Comme la plupart des microdistilleries, 1769 ne distille pas elle-même la base de son gin. Elle achète de l'alcool de grain neutre, fait avec du maïs. Andrew Mikus, copropriétaire et maître distillateur, repasse ensuite l'alcool dans son alambic Artisan avec du genièvre et des aromates. Le résultat est un London Dry Gin classique et élégant, très genièvre, avec des notes d'agrumes bien présentes.

M. Mikus et sa femme, Maureen David, ont commencé à rêver d'ouvrir une microdistillerie il y a trois ans. «Nous voyagions beaucoup aux États-Unis et, partout où nous nous trouvions, il y avait toujours une distillerie à visiter. Ça nous a donné envie de nous lancer», raconte Mme David. Les portes de la distillerie de Verdun ne seront toutefois pas ouvertes au public, puisque les lois québécoises empêchent présentement les distilleries de proposer des dégustations et de vendre leurs produits sur place.

Deuxième carrière

Président d'une boîte de postproduction, Andrew Mikus avait envie de changement. Il a suivi des formations à droite, à gauche, en plus de faire des stages dans quelques microdistilleries. C'est aux États-Unis qu'il a tout appris.

«L'industrie est encore très jeune au Québec et tout le monde protège jalousement ses informations. Quand je dis à certaines personnes que je vais produire de l'alcool à Montréal, il y en a qui me regardent, incrédules, et me disent : vous avez le droit de faire ça?!», déclare le distillateur.

En effet, les distilleries artisanales ont été absentes du paysage québécois pendant si longtemps - jusqu'à l'émergence des Michel Jodoin (brandies de pomme), Pinnacle (gin Ungava, rhum Chic Choc et vodka Quartz), Distillateurs subversifs (gin Piger Henricus), etc. - qu'elles ont encore des relents de prohibition. L'obtention des permis d'occupation et de distillation, entre autres procédures administratives, est encore une affaire d'une complexité inouïe.

La Distillerie 1769 démontre qu'avec patience et ténacité, on peut faire aboutir ses rêves.

Distillerie Wolfelsberger

Le bouilleur de cru

Lilian Wolfelsberger a reçu son permis de distillateur l'hiver dernier. Il n'a pas tardé à distiller ses premiers litres d'eau-de-vie de poire et de prune québécoises.

Le professeur de politique au collégial vient d'une famille alsacienne de bouilleurs de crus, qui distillent les fruits de leur verger, ou, dans le cas des bouilleurs ambulants, ceux des vergers environnants. En France c'est un métier en voie de disparition, depuis que la production industrielle a permis de faire diminuer grandement les coûts de revient.

C'est d'ailleurs ce coût qui rend la commercialisation des eaux-de-vie de M. Wolfelsberger un peu problématique. Pour les poires et les prunes, il faut compter 10 kg de fruits pour produire 1 L d'alcool. Dans le cas des petits fruits, la quantité augmente à 30 kg/L.

«Mon coût de revient est de 32 $ la bouteille. Avec toutes les taxes, il faudrait que la SAQ la vende 120 $.»

Les eaux-de-vie de la Distillerie Wolfelsberger sont faites uniquement avec du fruit pressé et fermenté, sans ajout de sucre ni d'alcool. Après son passage dans l'alambic, le distillat passe six mois dans des dames-jeannes de 45 L. Les distillats qui « le méritent » sont ensuite versés dans des barils de chêne ou de noisetier pour être oubliés pendant plusieurs années.

C'est dans un secteur industriel de Rosemont que le bouilleur de cru a installé ses équipements, dont l'alambic à bain-marie de 120 L, datant de 1936, qu'il a fait venir du village voisin de celui de son enfance. Cette distillerie urbaine est la deuxième que monte Lilian Wolfelsberger. La première, dans les Cantons-de-l'Est, a fermé ses portes avant même qu'un premier produit atteigne le marché. « J'avais eu le 25e permis de distillation accordé et là, j'ai le permis numéro 32. On voit que les choses n'avancent pas très vite, au Québec ! »

Bientôt, le Québécois d'adoption enverra ses eaux-de-vie dans les concours et rêve de battre les Européens avec des fruits de chez nous ! Il travaille aussi sur d'autres produits, à base de petits fruits comme le sureau et l'argousier, de cépages québécois comme le Maréchal Foch et de sirop d'érable.

Il ne reste plus qu'à souhaiter que les consommateurs québécois aient bientôt accès à ces produits d'exception.

Distilleries Cirka

Du grain au verre

Certes, des grands groupes de spiritueux, comme Diageo (ancienne distillerie Seagram) et Sazerac (ancienne Corby), distillent et embouteillent une partie de leurs produits à Montréal, mais c'est une industrie qui est jalouse de ses secrets. Allez savoir sur quelles tablettes se retrouvent le Fireball et autres whiskies canadiens distillés chez Sazerac !

Cirka, qui devrait entrer en production à l'été, souhaite être ouverte au public et travailler sans rien cacher. Elle attend que son alambic arrive d'Europe avant de pouvoir finaliser la demande de permis. Pourtant, la distillerie de Côte-Saint-Paul existe bel et bien, dans de beaux locaux industriels rénovés.

«Ici, nous voulons produire ET éduquer. Nous souhaitons que les gens visitent la distillerie, apprennent comment on fait un spiritueux. Ce serait bénéfique pour Montréal, pour le tourisme, et même pour la SAQ, qui aurait des consommateurs plus curieux et connaissants », affirme JoAnne Gaudreau, l'une des trois partenaires de Cirka, avec le distillateur Paul Cirka et l'entrepreneur général John Frare.

De plus, le trio s'impose de distiller toutes ses bases. «C'est la différence entre une soupe faite avec un bouillon maison et une soupe faite avec un bouillon commercial, croit Mme Gaudreau. Ici, on veut faire notre propre bouillon.»

Ainsi, la vodka sera distillée sur place de A à Z, puis le produit brut servira de base à un gin infusé d'herbes et d'épices traditionnelles, mais aussi d'aromates typiquement québécois. Évidemment, on mettra aussi du whisky à vieillir dans des fûts; un single malt, de surcroît.

L'abondance de céréales et de fruits saisonniers, la présence de malteries qui desservent les microbrasseries québécoises, l'intérêt grandissant de la population pour les spiritueux fins et les produits locaux font du Québec un territoire propice à la distillation.

«Nous en sommes à peu près là où étaient les microbrasseries il y a 20 ans», affirme le «défricheur» Paul Cirka. C'est prometteur!

PHOTO FRANCOIS ROY, LA PRESSE --MONTREAL Visite de la distillerie de Maureen David et Andrew Mikus dans leur nouvelle microdistillerie à Montreal. 1769 Distillery, Madison Park, gin. --- -16 AVRIL 2015 --#746098 GOURMAND

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE--MONTREAL Visite de la distillerie de Maureen David et Andrew Mikus dans leur nouvelle microdistillerie à Montreal. 1769 Distillery, Madison Park, gin. ----16 AVRIL 2015 --#746098 GOURMAND