Ils étaient quelques milliers à grelotter mercredi soir sur la place de l'Église à Beaujeu en attendant minuit, que le crieur public s'écrie: «le Beaujolais nouveau est arrivé», donnant le signal de l'ouverture des bouteilles en France, quelques heures après Tokyo et avant New York.

Un coup de maillet dans un tonneau, le vin a coulé dans les verres, les sourires ont rallumé les visages: «un peu acide», reconnait Daniel, un canotier sur la tête estampillé «Beaujolais». Le sexagénaire vient tous les ans du Jura avec des amis: «On sait que ce n'est pas le meilleur qu'ils offrent, mais on vient surtout pour l'ambiance», glisse-t-il.

Plus tôt dans la soirée, les visiteurs ont pu goûter les différentes appellations, millésimes et cuvées du Beaujolais auprès de producteurs locaux. Puis tous se sont rassemblés, ont allumé des flambeaux dans des brasiers de sarments de vignes, pour remonter la rue principale au son des fanfares, selon la tradition des «Sarmentelles».

Autre ambiance, huit heures plus tôt, dans un restaurant du centre tokyoïte, un centaine de Japonais, foulards rouges autour du cou et canotiers sur la tête, comptaient eux aussi: «Trois, deux, un... kanpai!» (santé, ou tchin, en Japonais).

L'an dernier, le pays a importé 59.183 hectolitres, soit 7,9 millions de bouteilles, loin devant les États-Unis, 1,8 million de bouteilles, et l'Allemagne, qui complète le podium avec 730.000 bouteilles.

Certains producteurs se mettent d'ailleurs à l'heure japonaise: «On fêtera le Beaujolais nouveau sur Skype avec nos clients japonais», confiait mardi Claire Chasselay, 30 ans, productrice de vin bio à Châtillon d'Azergues, dans le sud du Beaujolais, avec son frère et ses parents.

Pour ces vignerons dont les clients vont du «bouchon» lyonnais aux restaurants étoilés, l'export représente 40% des ventes.

Et le célèbre vin primeur n'y est pas pour rien: «Nos clients japonais nous ont connu grâce au Beaujolais nouveau. Maintenant ils achètent toute notre gamme au long de l'année», explique Claire.

«Et la pizza, cette année, quel goût elle a ?»

Ne demandez pas à l'enthousiaste vigneronne quel goût aura le Beaujolais nouveau cette année: «Et la pizza, cette année, quel goût elle a ?» ironise-t-elle. «Il y a 2.000 vignerons dans le Beaujolais, tous des petites structures, qui font tous un vin différent».

De même pour le goût de banane, symbole d'une époque de production massive du Beaujolais primeur, ou la quantité l'emportait sur la qualité. «C'est un arôme qui peut se trouver naturellement dans le vin», justifie Mélina Condy, de l'inter-beaujolais. «Mais pour le Beaujolais, c'était dû à une levure ajoutée qui avait comme effet secondaire ce goût. Elle n'est plus utilisée aujourd'hui.»

Restent le fruit et la légèreté, mais là aussi, tout dépend des goûts du vigneron: «Nous, on fait deux types de primeurs, indique Fabien Chasselay, le jeune frère en charge de la vinification. Le premier est tout en fruit, en souplesse. Il macère 6 à 8 jours en grappes entières (selon la méthode beaujolaise, ndlr). Et le second, qui a plus de volume, de tanin, suit une vinification de type vin de garde: égrappé à 50%, pendant 12 à 15 jours».

Pour cette seconde cuvée, la seule différence avec un vin de garde est la durée de l'élevage en fût. «Le Beaujolais nouveau, c'est un vin mal élevé, tout jeune, fougueux!», décrit le vigneron.

Soirées Beaujolais de Tokyo à New York

Bon an mal an, le Beaujolais nouveau s'est fait une place dans l'agenda des bistrots et restaurants du monde entier. Le négociant George Duboeuf, créateur de l'événement «Beaujolais nouveau» en 1967, mais symbole de ses excès, a d'ailleurs choisi New York pour organiser une soirée de lancement en présence de son fils, Franck Duboeuf.

A Pékin, expatriés et Chinois ont pu goûter le millésime 2014 accompagné d'un autre incontournable de la gastronomie française: le fromage d'un jeune fromager chinois qui a appris le métier en France.

Mais mercredi soir, les plus motivés, Russes, Chinois, Brésiliens ou Japonais, étaient à Beaujeu pour goûter sur place le vin fruité du Beaujolais.