Entre un printemps froid qui a occasionné une floraison difficile et un automne pluvieux obligeant à récolter parfois à la hâte, le millésime 2013 va demander aux vignerons bordelais beaucoup de subtilité et de technologie pour réussir un grand vin.

Alors que des légions de vendangeurs arpentent sous un ciel gris depuis fin septembre les rangées de vigne, la quête de l'excellence des grands crus de Bordeaux passe par le juste équilibre à trouver entre maturation optimale du raisin et récolte tardive, au risque d'une dilution du jus de raisin par la pluie ou d'une pourriture des grappes.

Pour déclencher les vendanges, «on attend une maturité optimum en fonction du risque météo, et on arbitre», résume Patrick Marroteau, co-propriétaire de Branaire-Ducru, grand cru classé en Saint-Julien (Médoc). «Les années sont rares où la question ne se pose pas», dit-il, habitué à cette prise de risque pour tirer la quintessence de la vigne.

Rivé en quasi-permanence à des sites de prévisions météorologiques, Philippe Faye, directeur de château Figeac, 1er grand cru classé de Saint-Emilion, sait lui aussi qu'il devra «faire des vendanges séquencées en fonction de l'avancement de la maturité et de l'état sanitaire de la vigne» dans les différentes parcelles.

La pluie du dernier week-end de septembre, accompagnée de températures extrêmement douces, a ainsi accéléré la récolte du cépage merlot, le plus répandu et le plus précoce des six rouges autorisés dans l'appellation Bordeaux.

«D'un raisin au goût acide on peut en cinq jours passer à du fruit frais et mûr. Et en quelques jours encore, on peut virer sur le fruit trop mûr. De ce fait, on contrôle en permanence en goûtant les raisins et on apprécie la virulence du botrytis», le pourrissement de la vigne, explique M. Faye, croquant la peau et les pépins avant de les recracher au sol.

Le jus, dit-il, permet d'évaluer «l'expression aromatique» et l'équilibre en sucre. La peau est croquée pour déterminer son épaisseur. Si elle est fine et fondante «il y aura une belle extraction de la couleur» et «il ne faut pas qu'elle ait un goût herbacé». Les pépins, eux, doivent «être craquants», de couleur brune et avec un goût «proche de la noisette».

«Obligés d'être très réactifs»

Pour compléter ces dégustations du raisin, les châteaux font régulièrement effectuer des analyses par des laboratoires spécialisés. Sont ainsi étudiés la quantité de couleurs de la peau du raisin, la maturité du pépin qui déterminera la qualité des tanins, tous les acides de la vigne, et le taux de sucre qui détermine le futur taux d'alcool. Un logiciel condense ensuite ces données et livre des courbes d'évolution de la maturité qui aideront à la précision des dates de récolte.

Car, en sus de maturités disparates selon le cépage, la composition géologique des sols a aussi son influence. Jeudi, au château Malartic-Lagravière, grand cru classé de Graves en rouge et en blanc, le chef de culture, Benoît Prévoteau, lançait sous une pluie d'orage 70 vendangeurs sur une moitié de parcelle de merlot arrivée à juste maturité. «On a récolté il y a deux jours le bas de la parcelle qui était mûr. Et on a pu attendre jusqu'à aujourd'hui pour faire le haut», explique-t-il.

«Nous sommes obligés d'être très réactifs et même de changer nos plans en cours de journée. La météo est notre sujet de discussion principal. Là on prévoit l'arrivée de la pluie et on se dit que cette parcelle ne le supportera pas, alors on la récolte», ajoute Alfred-Alexandre Bonnie, propriétaire de Malartic-Lagravière. «C'est la parcelle qui commande !», résume-t-il.

La question de la juste maturité va maintenant se poser pour les deux autres cépages majoritaires du Bordelais, les cabernet franc et cabernet sauvignon.

Le chef de culture de Malartic-Lagravière est optimiste : «on a un bel ensoleillement qui arrive à partir de lundi avec un vent frais et sec venu du Nord qui va stopper l'étalement du botrytis et laisse présager de très beaux cabernets».