Le Clos Saragnat ne ressemble en rien aux autres vignobles du Québec. Établi à Frelighsburg, au coeur des Appalaches, il arbore des vignes qui poussent au milieu d'un champ de pommiers, de fleurs, d'un grand potager et d'un poulailler. Rien n'est symétrique ni conventionnel. Et on y produit l'un des vins les plus originaux de la province, le «vin de paille».

Le vigneron Christian Barthomeuf est davantage connu pour ses cidres que pour ses vins. L'inventeur du cidre de glace a pourtant été l'un des premiers à planter de la vigne à Dunham, en 1980. Il a abandonné la viticulture au profit du cidre en 1991, lorsqu'il a réalisé qu'il ne pourrait jamais rivaliser avec les vins secs étrangers, qu'il jugeait meilleurs et moins chers.

«Je fais des vins de paille et de glace parce que l'Argentine ne peut pas en faire, explique-t-il. Lorsqu'ils en feront, j'arrêterai.»

De nouveau propriétaire d'une terre en 2003, M. Barthomeuf a planté des pommiers et des vignes. Il possède d'ailleurs la plus petite superficie permise pour un vignoble commercial avec ses 2500 plants. Aime-t-il mieux cultiver les pommes ou les raisins? Impossible pour lui de trancher.

«Ma passion, c'est de cultiver en écosystème», dit-il.

Pour ce faire, il pratique une agriculture biologique, il laboure avec un cheval et, surtout, il crée un environnement propice aux insectes et aux oiseaux. Ces petites bêtes sont, selon lui, essentielles pour maintenir l'équilibre de son domaine.

Autour de ses cinq hectares de culture, des mûriers sauvages côtoient des pruniers jaunes et des noisetiers. Si les arbres semblent plantés au hasard, M. Barthomeuf connaît leur emplacement par coeur.

Les vignes, quant à elles, sont cultivées en échalas. Cette vieille technique consiste à les séparer les unes des autres et à les soutenir à l'aide d'un tuteur. Le vigneron juge cette méthode optimale. Elle lui permet aussi de protéger les vignes du froid en hiver en posant un géotextile autour de chaque plant.

Vin de grenier

M. Barthomeuf se décrit comme un «patenteux». Il a tenté de cultiver plusieurs variétés de vignes au cours des 30 dernières années. Il concentre aujourd'hui sa production sur deux d'entre elles, le vidal et le geisenheim. C'est avec ces deux hybrides qu'il produit ses vins sucrés.

«J'ai toujours aimé les vins liquoreux, raconte le vigneron. Je ne pouvais pas faire comme à Sauternes, parce qu'au Québec, le gel arrive bien avant le champignon botrytis. J'ai alors pensé au vin de paille.»

Le vin de paille est l'un des produits phares du Jura, en France. Pour produire ce blanc sucré, le vigneron laisse sécher les raisins après la vendange dans un endroit sec. Ce procédé permet de concentrer le sucre des fruits.

Après cinq mois dans son grenier, les raisins sont pressés. Puis, le sirupeux liquide fermente pendant plus d'un an. Le vin est embouteillé au mois de mars de l'année suivante. Il contient alors plus de 200 g de sucre par litre.

La paille... rouge

Un nouveau vin de paille fermente dans les cuves du Clos Saragnat. Sa particularité? Il est rouge. M. Barthomeuf a utilisé un autre cépage, la vedette des vins du Beaujolais, le gamay.

«J'ai toujours cultivé du gamay, raconte-t-il. C'est un cépage méconnu ou maltraité. Il a tendance à pourrir à l'approche de la maturité. À ma grande surprise, en bio, il semble plus résistant aux maladies.»

Son vin de paille rouge sera en vente au printemps. Le vigneron a vérifié ses cuves au cours des derniers jours et il est très encouragé. «Il sent intensément le fruit rouge, j'espère que ce bouquet restera», ajoute-t-il.

Du raisin, c'est tout

Tous les livres spécialisés s'entendent pour dire que les vins sucrés contiennent davantage de sulfites. Ces stabilisants empêchent le liquide de fermenter de nouveau une fois en bouteille. M. Barthomeuf n'est pas d'accord avec cette théorie. Pour le prouver, il n'ajoute aucun sulfite dans ses vins vendus au Québec.

«Je donne à mon vin toutes les chances possibles de repartir en fermentation dans mes cuves, dit-il. Quand il ne bouge plus, j'embouteille. Je n'ai jamais eu de retour parce que le vin était reparti en fermentation. C'est possible de le faire, parce que je n'utilise aucun produit chimique dans le chai ni dans le champ.»

Bien que le vignoble ait obtenu sa certification d'agriculture biologique il y a seulement deux ans, M. Barthomeuf n'applique aucun pesticide dans son vignoble depuis ses débuts à Frelighsburg, en 2003. Ce choix implique un défi supplémentaire: celui de ne pas toujours contrôler la production si les conditions météorologiques ne sont pas optimales.

Le climat a d'ailleurs mis le vigneron au défi cet été. À la suite d'une mauvaise floraison en juin, il a décidé de ne produire ni vin de glace ni vin de paille cette année. Il espère récupérer les fruits pour élaborer un nouveau vin: un mousseux.

Comment s'y rendre

De Montréal, il faut rouler pendant près de 1h30 pour arriver au Clos Saragnat. Sur l'autoroute 10 Est, prenez la sortie 68 en direction de Cowansville. Restez sur la route 139 Sud jusqu'à la rue Principale, soit la 202 Sud. Dirigez-vous ensuite vers Dunham, puis vers Frelighsburg. Une fois ce dernier village dépassé, tournez à gauche dans la rue Richford. Le vignoble sera à votre droite.

À déguster

Vin liquoreux «Paille» 2011

Dans cette petite bouteille de 200 ml, le vin est de couleur ambrée et très sirupeux. Il sent surtout les abricots et les fleurs. En bouche, l'acidité apporte du tonus à ce liquide mielleux. Les notes subtiles de caramel se dévoilent avec le temps dans le verre. Que manger avec un vin si onctueux et sucré? Des fromages à pâte molle, des salades et des gâteaux de fruits. Si vous avez la patience de la garder dans votre cave, cette bouteille traversera au moins la prochaine décennie. 8%, 40$, vendu au vignoble seulement.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE