Cette fois, c'est un magnat chinois de la joaillerie qui acquiert un château du Médoc, portant à six le nombre de propriétés du vignoble bordelais achetées par des investisseurs venus de Chine où le marché du vin connaît un boom sans précédent.

Richard Shen Dongjun l'a bien compris: «le marché du vin en Chine se développe très, très vite, il y a un vrai business à faire». Or, pour les Chinois, «l'image du vin français, c'est le Bordelais», explique à l'AFP le PDG du groupe de luxe Tesiro, dont le siège est à Nankin, dans le sud-est de la Chine.

Pendant douze mois, le quadragénaire a arpenté le vignoble bordelais, dans le sud-ouest de la France, visité quarante propriétés avant de jeter son dévolu sur château Laulan Ducos, un cru bourgeois du Médoc dont il apprécie particulièrement le cépage dominant cabernet-sauvignon. C'est décidé, il en fera «un produit de luxe» avec un conditionnement adapté au marché chinois et en écoulera en Chine la totalité de la production, à l'instar de ses compatriotes installés à Bordeaux.

Avant lui, ce sont cinq autres châteaux qui ont trouvé preneurs en Chine en un peu plus de trois ans: château Latour-Laguens en 2008 puis château Richelieu, château Chenu Lafitte et cette année, château de la Salle et château de Viaud, le seul à avoir été acheté par un conglomérat majoritairement détenu par l'État chinois. «Après les Britanniques, les Néerlandais, les Japonais, ce n'est pas une surprise que les Chinois arrivent aujourd'hui, c'est dans la nature des choses», explique à l'AFP Georges Haushalter, président du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB). Cette tendance s'appuie sur un véritable engouement des Chinois pour les vins de Bordeaux. Les exportations en Chine ont connu un bond phénoménal en 2010 (+98%) et le tandem Chine-Hong Kong est devenu le premier client des vins de Bordeaux en valeur, avec un total de 333 millions d'euros.

«On n'a jamais eu affaire dans l'Histoire à un marché de cette dimension, c'est une très grande chance», s'est réjoui Frédéric de Luze, président de l'Alliance des crus bourgeois du Médoc, ravi que M. Shen ait choisi un cru bourgeois. Car pour l'heure, les investisseurs chinois ont porté leur choix sur des vins de gammes intermédiaires, à mi-chemin entre «les vins au ras des pâquerettes et les vins stratosphériques», selon Jean-Pierre Rousseau, directeur général de la maison de négociants Diva. «Ils achètent toujours un château, un terroir... et puis tout le vin part en Chine», précise à l'AFP Stéphane Toutoundji, oenologue-conseil de deux et bientôt trois des châteaux chinois, insistant sur leur «souci de l'investissement qualitatif et de la rentabilité». «Logiquement, ils commencent par des propriétés intermédiaires qui correspondent à un segment de marché en Chine et qui ne donnent pas lieu à spéculation» foncière, souligne M. Haushalter. Selon M. Toutoundji, les propriétés ont été rachetées entre 2 et 3 millions d'euros chacune, sauf château du Viaud vendu à plus de 10 millions d'euros.

M. Shen ne l'a pas caché: l'acquisition de Laulan Ducos (AOC Bordeaux) n'est qu'un début. Les 150 000 bouteilles qui sortent chaque année de ses chais sont insuffisantes alors son groupe, qui pèse 15 millions d'euros de chiffre d'affaires, ambitionne de commercialiser d'autres vins bordelais sous la marque «Laulan Ducos» auprès de sa clientèle VIP. Avant d'autres investissements souvent «supérieurs au prix du château» lui-même.