Nous étions attablés Aux crieurs de vin, un chouette resto de Troyes, en Champagne, avec un jeune producteur passionné par le travail de la terre, par les bulles et par la biodynamie.

Jean-Sébastien Fleury, bonne bouille et longue tignasse bouclée, nous expliquait notamment que son père, Jean-Pierre, était passé au bio en 1989, ce qui faisait de son vignoble le premier en ce domaine dans toute la Champagne.

Les principes de la culture bio, répertoriés et contrôlés par un cahier des charges strict, sont relativement simples. Respect de la terre et de ses cycles, de l'environnement en général et plus spécifiquement de l'environnement immédiat du vignoble, culture nature sans agents chimiques, achat local, etc.

Les Fleury, qui cultivent bio de père en fils et qui produisent d'excellents champagnes (disponibles en importation privée par l'agence la QV - laqv.ca), sont des ambassadeurs convaincus de cette méthode de culture.

Les engrais naturels, le respect de la terre et de la vigne, l'utilisation d'insectes, d'animaux ou de végétaux comme régulateurs, jusque-là, ça allait, nous suivions l'exposé de notre jeune vigneron avec intérêt. Un certain scepticisme s'est toutefois invité à table lorsqu'il a été question de... bouses de vache dans des cornes de boeufs...

Cette méthode, nous a expliqué Jean-Sébastien Fleury, consiste à bourrer des cornes de bouses de vache et de les enfouir dans le sol en guise d'engrais. Les excréments d'animaux recyclés en engrais, soit, c'est ce que l'on fait aussi dans nos plates-bandes lorsque l'on étend du fumier de mouton, mais la corne, disons que cela semble relever autant d'une forme de sorcellerie que de la biodynamie.

Cela ne peut être mauvais, cela dit, mais comme l'a précisé Jean-Sébastien Fleury, sans doute alerté par notre air dubitatif, «il faut aussi y croire un peu».

Quelques jours plus tard, lors de cette même virée en Champagne, un autre vigneron nous a demandé, l'air narquois: «Vous avez rencontré Fleury? Ah bon, et il vous a parlé de ses cornes de bouse?» Visiblement, ce producteur n'y croyait pas du tout.

Dans le monde du vin, la biodynamie alimente de grands débats entre producteurs, amateurs, spécialistes, cavistes, bref, quiconque touche de près ou de loin au divin jus de raisins.

On distingue quatre camps dans ce débat.

Il y a d'abord ceux qui ne veulent rien savoir du bio, soit parce qu'ils affirment que c'est impossible dans leur domaine, soit parce que c'est plus rapide, plus payant, moins contraignant de cultiver non-bio ou parce qu'ils prétendent que cela donne des vins moins bons, plus instables.

Il y a ensuite les convertis, plus ou moins religieux dans leur approche et dans leur partage de la bonne nouvelle, mais qui ne font pas de compromis et qui affichent fièrement leur sceau de certification, notamment le «label Demeter».

On rencontre aussi des vignerons qui produisent bio, parfois depuis fort longtemps, mais qui ne recherchent pas la certification ou, même, qui n'en veulent carrément pas, de peur de déprécier leur vin sur le marché.

Enfin, ceux qui sont entre les deux: pas assez bio pour obtenir la certification, mais tout de même engagés dans une culture respectueuse de l'environnement, que l'on appelle aussi parfois la «culture raisonnée».

Chez les consommateurs, et pas seulement de vin, le débat fait aussi rage depuis plusieurs années. L'agriculture moderne et industrielle est-elle en train de nous empoisonner en détruisant les terres à un rythme affolant? Les produits bio sont-ils nécessairement meilleurs pour la santé? Certains producteurs et détaillants profitent-ils de la vague bio pour vendre leurs produits plus chers?

Au Québec, le vin bio est en progression, mais il reste encore à ce jour marginal.

À la SAQ, on ne compte que 174 vins bio (158 en spécialité et seulement 16 en produits courants), soit à peine un peu plus de 2% de tous les produits en stock. Les ventes de ces vins sont passées, en dollars, de 14,8 millions en 2009 à 18,2 millions en 2010 (environ 1 million de bouteilles bio vendues).

La SAQ avait aménagé des «sections bio» dans ses succursales, mais après un an d'essai infructueux, ces produits seront tout simplement reclassés par pays, avec une mention «bio» sur la tablette.

Il semble que les consommateurs ne cherchent pas un vin d'abord pour son sceau bio, mais plutôt par son pays d'origine.