Malte Spitz ne savait pas trop à quoi s'attendre lorsqu'il s'est adressé à son opérateur téléphonique, il y a quelques années, pour obtenir les renseignements colligés à son sujet par l'entremise de son téléphone cellulaire.

«J'ai demandé qu'on me remette les données me concernant, mais je ne savais pas trop comment ça fonctionnait... Je voulais montrer au public ce que les compagnies téléphoniques savent sur nous», explique en entrevue téléphonique le politicien allemand de 29 ans, membre du principal parti écologiste du pays.

Dans un premier temps, Deutsche Telekom s'est contenté de lui transmettre une feuille sur laquelle figuraient des renseignements administratifs.

M. Spitz a alors signalé à l'entreprise son intention de porter la cause devant les tribunaux. À l'issue du bras de fer, il a reçu, plusieurs mois plus tard, un fichier contenant 35 000 lignes d'information couvrant une période de six mois - d'août 2009 à février 2010.

«Au début, c'était un peu déconcertant. Je ne comprenais pas vraiment ce que j'avais en main», souligne-t-il.

Une analyse plus poussée lui a permis de comprendre que les données décrivaient avec précision les coordonnées des tours de transmission cellulaires avec lesquelles son téléphone avait communiqué durant cette période, l'angle décrivant sa position par rapport aux tours utilisées ainsi que l'heure de contact.

Avec l'aide de l'hebdomadaire Die Zeit, le politicien a alors entrepris de replacer ces données sur une carte, générant du coup une stupéfiante reconstitution, visuelle, dans le temps, de ses déplacements sur une période de six mois.

«Il y avait plus de 200 points par jour. Lorsque je suis à Berlin, où il y a beaucoup de tours, on peut voir jusqu'à la rue où je me trouve tout au long de la journée», souligne M. Spitz, qui a été inondé d'appels d'usagers consternés par sa démonstration.

«Je pense que les gens ont réalisé véritablement pour la première fois ce qui est en train de se passer», souligne-t-il.

L'initiative de l'élu a attiré l'attention sur une directive européenne, introduite en 2006, qui oblige les opérateurs téléphoniques à stocker pour une période variant de six mois à deux ans les métadonnées relatives aux appels effectués et aux courriels transmis par leurs clients.

Ces renseignements doivent être rendus accessibles aux forces de l'ordre, sur demande dûment autorisée, afin de faciliter la lutte contre le crime et le terrorisme.

Pour Malte Spitz, le stockage de métadonnées à grande échelle est "complètement disproportionné« et menace la vie privée de la population. «Vous n'avez pas à colliger des données sur 80 millions de personnes pour lutter contre le terrorisme. Si les policiers ont des raisons de croire qu'une personne est suspecte, il y a moyen pour les opérateurs de leur prêter assistance, mais pas de cette façon», dit-il.

Le Tribunal constitutionnel allemand a validé son analyse en 2010 en rejetant la loi allemande qui obligeait les opérateurs à conserver des données pour une période de six mois, conformément au seuil minimum prévu par la directive européenne.

Le plus haut tribunal du pays a statué que cette mesure représentait une «grave atteinte» à la vie privée et devait être révoquée, forçant les opérateurs à détruire les données existantes.

La décision, selon M. Spitz, reflète la sensibilité de la population, qui demeure marquée par les pratiques de surveillance de la police secrète est-allemande et du régime nazi.

«Les gens ne devraient pas être forcés de compromettre leur vie privée pour pouvoir participer au monde numérique. Mais le système ne leur donne généralement pas le choix aujourd'hui», déplore-t-il.