Ben Jackson est un espion en son genre. Il traque les gens, sait où ils habitent, où ils travaillent, l'endroit où ils prennent leurs vacances.

Un coup de fil à Ben Jackson et il fournit un nom: Guillaume Serale. En quelques clics, on apprend qu'il habite à Québec, on découvre à quelques mètres près où il vit, où il travaille, on sait où il est sorti prendre un café cette semaine.

Les informations que fournit Ben Jackson n'ont rien d'illégal. Pour en arriver à «espionner» les gens, un collègue et lui n'ont fait que prendre des données disponibles sur l'internet et les ont analysées. Leur objet de prédilection: les photos publiées sur Twitter.

Que ce soit à partir d'un cellulaire ou d'un appareil photo standard, chaque image numérique est associée à un fichier de type EXIF (pour Exchangeable image file format). Dans ce fichier sont compilées de nombreuses données, dont la date et l'heure de la prise de vue, les caractéristiques de l'appareil et, de plus en plus souvent, les coordonnées géographiques du lieu où la photo a été prise.

En passant au peigne fin les photos publiées par les internautes, Ben Jackson, consultant en sécurité informatique de la région de Boston, a découvert que plusieurs de celles-ci étaient géolocalisées.

Avec un collègue, il a mis sur pied le site Icanstalku.com (littéralement: je peux vous traquer), lequel fournit en temps réel des photos géolocalisées publiées sur Twitter. (On apprend ce matin sur le site internet que Twitter a bloqué le compte de icanstalku.com, ce qui empêche les administrateurs d'aviser les internautes que leurs photos sont géolocalisées)

Chaque fois que le logiciel trouve une de ces photos, il envoie un message à la personne qui l'a mise sur le web, afin de l'avertir que sa photo en dévoile beaucoup.

Les réactions des internautes varient, explique au téléphone Ben Jackson.

«La plupart des gens nous disent: «Merci, je n'avais aucune idée que cette fonctionnalité était activée.» Une plus petite minorité de gens nous disent: «Qui êtes-vous, comment savez-vous ça, comment m'avez-vous trouvé?»»

À Québec, Guillaume Serale se montre peu surpris quand La Presse le joint pour l'informer qu'il est très facile pour quiconque de suivre ses déplacements.

«Toutes mes photos sont géolocalisées automatiquement sur mon cellulaire, qui a un GPS. C'est moi qui ai activé cette fonction. À partir du moment où je prends des photos qui sont politiquement correctes, le fait qu'elles soient géolocalisées ne me dérange pas», dit-il.

Ben Jackson, lui, y voit un problème.

«Je ne pense pas que les gens réalisent les corrélations qu'on peut faire avec un ensemble de données. Quand on se met à surveiller quelqu'un sur une période de trois mois, par exemple, on commence à voir des tendances. On sait où est sa maison, son travail, où il passe ses vacances et quand.»

En toute connaissance de cause

S'il se décrit à la blague comme un «vieux grincheux» qui tente de laisser le moins de traces possible sur le web, Jean-Paul Viboud n'en est pas moins un homme de son temps. Et pour cause: il est spécialiste de la géolocalisation à l'Université de Sherbrooke. Le groupe de recherche DOMUS pour lequel il travaille en est d'ailleurs à mettre sur pied une résidence pour les traumatisés crâniens, laquelle s'appuiera sur la géolocalisation pour faciliter la vie de ses habitants.

«La géolocalisation est un domaine vaste, explique-t-il. Pour offrir certains services, il peut être extrêmement important de savoir où vous êtes.» Jean-Paul Viboud croit toutefois que la géolocalisation commence à avoir des effets pervers.

«Il y a des gens pour lesquels avoir des appareils photo avec des GPS, ça ne pose aucun problème. Ils s'en fichent royalement. Puis il y a la masse, qui est au milieu, qui n'en sait strictement rien. Qui s'en rendra compte le jour où elle y sera confrontée. Qu'est-ce qui se passe si votre assureur peut, avec une photo, prouver que vous n'étiez pas là où vous prétendez que vous vous trouviez?»

L'homme derrière le site Icanstalku se désole également que seule une minorité de gens soient au courant que cette fonctionnalité existe sur leur téléphone cellulaire ou leur appareil photo.

«Quand on a lancé Icanstalku, raconte Ben Jackson, on voulait simplement faire savoir aux gens que cette fonctionnalité était activée sur leur appareil. Maintenant, nous voulons que les gens prennent une décision éclairée, qu'ils sachent que l'information est publique et qu'ils prennent la décision: est-ce que je veux que ça le soit?»

Pour cela, croit Jean-Paul Viboud, il faut qu'il soit facile de désactiver les GPS. «Le but d'un appareil photo, c'est de prendre des photos, pas de localiser les gens. Dans les appareils photo, les GPS sont loin d'être généralisés, mais ça s'en vient et il faudra s'en préoccuper. Généralement, c'est au bout de quelques années qu'on se rend compte des dérives du système.»

Difficile, désactiver le GPS...

La manière la plus simple de ne pas être retracé par ses photos est de ne pas les publier sur l'internet. Mais si vous choisissez de mettre vos photos en ligne, mieux vaut jeter un coup d'oeil aux paramètres de votre téléphone cellulaire ou de votre appareil photo.

Les chercheurs derrière le site Icanstalku.com ont mis en ligne un guide qui montre comment désactiver les paramètres de géolocalisation des principaux systèmes d'exploitation pour téléphones cellulaires, notamment ceux d'Apple, de Google et des BlackBerry. L'un des créateurs de ce site déplore que les systèmes pour téléphones cellulaires n'avertissent pas assez clairement les utilisateurs qu'ils prennent leurs coordonnées géographiques en note.

«Apple, par exemple, me demande si je veux activer la géolocalisation. Un utilisateur moyen a de bonnes chances de dire: «Oui, faites ce que vous voulez et ne me dérangez plus.» On ne dit pas: «Attention, votre latitude et longitude seront sur toutes les photos que vous prendrez à partir de maintenant». Ce n'est pas activé par défaut, mais ce n'est pas vraiment expliqué à l'utilisateur non plus», dit Ben Jackson.