Votre téléphone mobile a-t-il fait couler le sang en Afrique? Les Américains devraient bientôt le savoir, une nouvelle loi obligeant les fournisseurs à révéler si leurs produits contiennent des minerais provenant de mines contrôlées par la rébellion au Congo-Kinshasa ou dans la région.

Cette démarche vise à priver les rebelles de fonds et les pousser à déposer les armes, avec le risque qu'un boycott ne prive des centaines de milliers de Congolais de leurs maigres revenus et ne déstabilise la fragile économie locale.

«Pour beaucoup de gens, c'est le seul moyen de subsistance», a prévenu Sara Geenen, chercheuse à l'université d'Anvers en Belgique, qui revient d'un voyage dans les deux provinces du Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC).

Sont concernés par cette loi trois minéraux industriels: l'étain, le tantale et le tungstène, mais aussi l'or. L'étain est utilisé pour souder les composants électroniques du téléphone, et le tantale dans les condensateurs, élément vital en électronique. Le tungstène sert notamment à faire vibrer le cellulaire.

L'exportation de ces métaux depuis la RDC fait l'objet d'une campagne de mobilisation orchestrée par plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) depuis quelques années, un combat qui a porté ses fruits avec la mention des «minéraux de conflit» dans la loi sur la réformes de la finance promulguée la semaine dernière par le président Barack Obama.

Si le Congo-Kinshasa dispose de vastes réserves de minerais, la pauvreté et la guerre font que l'extraction et le traitement restent manuels, et que la production est donc faible. Au total, le pays a produit 5% de l'étain mondial en 2008, selon l'institut de recherche spécialisé ITRI.

La quantité produite au Congo semble faible selon les critères internationaux mais ces minerais représentent une manne pour l'économie locale: ils feraient vivre un million de personnes, avance Nicholas Garrett, un consultant payé par les gouvernements néerlandais et britannique pour étudier la question.

Les associations de défense des droits de l'Homme, les Nations unies et les chercheurs tels que Sara Geenen reconnaissent que les mines financent les groupes rebelles, les milices et les éléments corrompus de l'armée congolaise, mais pour les universitaires, les associations ont trop insisté sur le lien entre minerais et violence.

«Les minerais sont utilisés pour financer la lutte armée, mais il ne s'agit pas de combats pour le contrôle des mines», analyse Laura Seay, maître de conférence en sciences politique à l'université Morehouse à Atlanta, et spécialiste de la RDC. Les affrontements ont pour enjeu les droits sur la terre, le statut des réfugiés et les milices venues du Rwanda voisin qui ont afflué après le génocide de 1994, selon elle.

Sasha Lezhnev, consultante pour l'organisation Enough Project qui milite pour empêcher de nouveaux génocides, reconnaît que les combats n'avaient pas pour origine les minerais, mais estime que les choses ont changé depuis. «Les minerais sont à la fois le principal motif et le carburant qui alimentent les flammes dans l'Est aujourd'hui. L'un des principaux résultats des opérations militaires de l'année dernière a été qu'un groupe armé a pris à l'autre le contrôle de minerais.»

La loi américaine n'interdit pas le commerce des minerais de cette région mais impose aux entreprises de dire chaque année si leurs produits contiennent un des quatre «minéraux des conflits» du Congo-Kinshasa ou de neuf pays de la région par lesquels ils pourraient transiter pour être «blanchis».

S'il apparaît que des minerais proviennent d'un des dix pays concernés, les entreprises devront déterminer «avec la plus grande précision possible» la mine d'origine.

Mais elles pourront aussi apposer sur leurs produits l'étiquette ôôsans conflit» si elles arrivent à prouver qu'ils ne contiennent aucun minerai ayant directement ou indirectement financé ou aidé des groupes armés dans un des dix pays.

Le consultant Nicholas Garrett s'inquiète de ce que les entreprises vont choisir la solution de facilité en renonçant aux minerais de cette région.

Sasha Lezhnev reconnaît que la fin des exportations ferait plus de mal que de bien, mais le but d'Enough Project est de mettre en place une traçabilité de toute la chaîne et une certification de l'origine des minerais. De cette façon, plaide-t-elle, les acheteurs pourront continuer de se fournir auprès de mines «propres».