En ce début juin, alors que le soleil nargue les élèves par les fenêtres et que les vacances approchent, Caroline serait bien embêtée sans son téléphone pour envoyer des textos en classe - elle pourrait même être obligée d'écouter.

L'adolescente de 17 ans ne peut s'empêcher de texter ses amis pendant les cours. Pour ne pas attirer l'attention des profs, elle met son «cell»  sur le mode vibration et pitonne les mains sous le bureau.

Même si la plupart de ses amis sont comme elle en cinquième secondaire à l'école Saint-Pierre et des Sentiers, à Charlesbourg, la jeune femme aux cheveux brun foncé et au débit rapide ne veut pas attendre la pause pour leur parler de tout et de rien, ni faire passer un post-it si le destinataire est dans sa classe.

«Les petits papiers avec les mots, dit-elle, c'est dépassé.»

Dépassée, aussi, semble être l'époque pas si lointaine où le téléphone cellulaire servait surtout à appeler et où le message texte était encore un drôle d'outil. Or, aujourd'hui pour les ados, c'est tout le contraire.

Encouragés par les forfaits textos illimités des compagnies de téléphone, les 12-18 ans se délient les pouces plus que jamais. Selon les statistiques de la firme Nielsen, les ados américains ont envoyé et ont reçu en moyenne 2272 textos par mois - près de 80 par jour - dans le quatrième trimestre de 2008.

Nielsen ne tient pas les mêmes statistiques pour le Canada, ni pour le Québec. Mais les tendances américaines traversent rapidement la frontière : cette année, les Canadiens ont envoyé deux fois plus de textos que l'an dernier, d'après l'Association canadienne des télécommunications sans fil, qui compile les données de TELUS, de Bell, de Rogers, de Fido, de Virgin et cie.

Caroline est tout de même un petit peu plus modérée que ses voisines américaines. Elle en envoie plus de 700 par mois - donc

23 par jour -, c'est-à-dire à peu près un par heure. La jeune femme envoie un message texte partout et à tout moment de la journée. En classe pendant que son prof explique une notion qui l'ennuie; à table quand ses parents essaient de discuter; dans son lit la nuit parce qu'une de ses amies ne pouvait pas attendre au lendemain; en traversant la rue.

Conséquences

La montée du texto est encore trop récente pour avoir engendré des données scientifiques solides sur les effets de cette technologie dans la vie des ados, indique le professeur André Caron, directeur du Groupe de recherche sur les jeunes et les médias, à l'Université de Montréal.

Mais son utilisation abusive peut toutefois avoir des conséquences inquiétantes, remarque-t-il, lorsque les textos empêchent les adolescents de devenir autonomes par rapport à leurs parents.

«Si l'enfant ne prend pas de décision par lui-même, décrit le professeur Caron, s'il est toujours en train d'envoyer des textos à ses parents pour leur demander leur avis sur tout, on maintient la relation de dépendance.»

Caroline n'est pas du genre à envoyer un texto à sa mère pour savoir si elle devrait acheter des souliers bleus ou rouges, mais elle échange souvent des messages avec elle pour lui dire où elle est, ce qu'elle fait, à quelle heure elle va rentrer. C'est d'ailleurs pour ça qu'elle paie son abonnement, dit-elle.

Mais comme le souligne Mathieu, un bon ami de Caroline, les ados se servent d'abord des textos pour s'envoyer de courts messages sans trop de substance du genre : «Salut, kes tu fais?» L'idée n'est pas tant d'écrire pour ne rien dire que de «se mettre à jour, de prendre des nouvelles», explique l'adolescent de 17 ans.

Briser le silence

Dans son livre, Culture mobile. Les nouvelles pratiques de communication (2005), André Caron décrit les textos comme un autre moyen technique de briser le silence rattaché à l'isolement et à la solitude tant redoutée par les ados, qui ont grandi avec Internet et le téléphone cellulaire.

«Alors que le silence semble souvent associé à la paix et à la quiétude pour les jeunes adultes, écrit M. Caron, le silence est synonyme d'ennui, de temps morts pour beaucoup d'adolescents.»

Pour certains ados, contrer les temps morts en expédiant des textos frise l'obsession. Greg Hardesty, un journaliste de Lake Forest, en Californie, a raconté dans le journal Orange County Register que l'an dernier, sa fille de 13 ans, Reina, a expédié 14 528 textos en un mois.

Ses notes à l'école se sont mises à dégringoler et ses parents ont confisqué son cellulaire. La jeune fille a pu le récupérer depuis que ses notes ont remonté, mais elle est doit maintenant se limiter à... 5000 textos par mois - et aucun entre 21h et 5h.

Mathieu, lui, paie son téléphone cellulaire avec son argent. Ses parents n'ont jamais vérifié le nombre de textos qu'il envoie. lls savent qu'il en pitonne souvent, mais ne s'en formalisent pas, tant que ça n'importune pas les autres.

André Caron pense que les parents devraient  établir dès le départ un cadre d'utilisation lorsqu'ils fournissent à leurs ados un cellulaire avec un forfait textos illimités. Le problème, remarque-t-il, c'est que souvent le père ou la mère passent eux-mêmes leur temps à recevoir et à envoyer des messages sur leur BlackBerry.

Professeure de français en troisième secondaire à l'école des Sentiers, Francine Godin aimerait bien que les parents demandent à leurs ados de laisser leur cellulaire à la maison. «À l'école, dit-elle, c'est totalement inutile.» «Pour les urgences, ajoute sa collègue Isabelle Girard, coordonnatrice du programme d'études internationales, le téléphone ordinaire, ça existe encore.»

Caroline a beau chercher, elle ne trouve pas vraiment de raisons d'avoir son cellulaire à l'école, sauf pour envoyer des textos à ses amis. Mais peu importe, fait valoir l'adolescente, «mon cellulaire, c'est vital».

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