L'Agence de la santé publique de Toronto a jeté un pavé dans la mare, l'été dernier, en devenant la première au Canada à recommander la prudence en ce qui concerne l'utilisation du téléphone portable par les enfants.

L'Agence indique dans son rapport que même si la plupart des études menées jusqu'ici concluent que le cellulaire est sans effet sur la santé, son impact à long terme n'est pas encore clair. Elle ajoute que les enfants pourraient être davantage susceptibles que les adultes de subir les effets potentiellement nocifs des ondes.

 

«Alors que les scientifiques niaient tout risque jusqu'ici, il semble, avec l'accumulation des études, que les gens qui ont utilisé un téléphone portable sur une longue période sont plus à risque de développer certaines tumeurs au cerveau», explique l'auteure du rapport, Lauren Vanderlinden.

Aux États-Unis, le directeur de l'Institut du cancer de l'Université de Pittsburgh, le Dr Ronald Herberman, a fait écho à l'avertissement de Toronto en recommandant que les enfants n'utilisent le portable qu'en cas d'urgence: «Je suis convaincu qu'il y a assez de données pour justifier un avis donnant des précautions à prendre avec le cellulaire.»

Des recommandations similaires ont aussi été formulées en France, en Allemagne et en Inde.

Au Québec, rien de tel n'est encore en vue. Le ministère de la Santé confirme n'avoir aucun projet d'avis du même genre, pas plus qu'il n'envisage de commander des études sur les dangers potentiels du portable.

«On ne peut pas dire que le cellulaire soit absolument sans risque, mais on ne peut pas dire non plus qu'il cause le cancer comme le font la cigarette ou le soleil», affirme avec prudence André Beaulieu, porte-parole de la Société canadienne du cancer, section Québec.

Sur son site internet, l'organisme donne quand même quelques options aux gens inquiets: choisir de ne pas avoir de téléphone portable, utiliser un casque d'écoute au lieu de mettre l'appareil à son oreille, fixer certaines restrictions aux enfants...

Panique injustifiée?

«Les enfants pourraient être plus à risque s'il devait y avoir un danger, reconnaît M. Beaulieu. Le cancer est une maladie des cellules, et les enfants ont une croissance cellulaire plus rapide que les adultes.»

Dans son rapport, l'Agence de la santé de Toronto explique que les enfants ont une tête plus petite, une boîte crânienne, une peau et des oreilles moins épaisses. Leurs cellules nerveuses conduisent l'énergie - comme celle des ondes - mieux que les cellules des adultes. Leur cerveau y est aussi plus sensible.

«On sait que les enfants sont plus susceptibles de contracter une maladie quand ils s'exposent longtemps à l'énergie des pylônes électromagnétiques. Est-ce que c'est la même chose avec les ondes du cellulaire?» demande M. Beaulieu. «Je ne peux pas vous direqu'il n'y a aucun danger.»

Y a-t-il une panique injustifiée qu'il faudra mettre plus tard avec les grandes peurs plus ou moins irraisonnées du tournant du XXIe siècle, dont le bogue de l'an 2000?

Le représentant de l'Association canadienne des télécommunications sans fil (ACTS), Mark Choma, en est convaincu: «J'ai moi-même deux enfants et je n'ai aucune crainte à leur faire utiliser un téléphone cellulaire.»

«Toutes les agences de santé sérieuses, - je parle de l'Organisation mondiale de la santé, de Santé Canada - indiquent qu'il n'y a pas d'effets sur la santé.»

L'ACTS se défend de vouloir cacher quoi que ce soit: «Nous avons toujours encouragé et nous continuons d'encourager la recherche», plaide M. Choma.

Pour le moment, Santé Canada semble en effet partager son optimisme et confirme «ne voir aucune raison scientifique de croire que l'utilisation de téléphones cellulaires est non sécuritaire».

Des experts de poids abondent aussi dans le sens de l'industrie du sans-fil. Le prix Nobel de physique Georges Charpak s'est déclaré convaincu, dans une interview avec le magazine Le Figaro, que des recherches sérieuses ne montreraient aucune différence significative entre une population exposée aux ondes et une autre ne l'étant pas. «Oui, j'ai peur du téléphone portable: j'ai peur de me faire renverser par un type qui téléphone au volant», a-t-il lancé.

Sauf dans le cas improbable d'une percée majeure dans la recherche, le débat devrait durer encore longtemps. En effet, s'il devait y avoir une incidence accrue de cancers chez les utilisateurs de portables, celle-ci pourrait ne pas se révéler avant des décennies.Des études contradictoires

Des études contradictoires

Les études se contredisent quant aux effets du téléphone cellulaire sur la santé. Portant sur des groupes trop petits, aucune n'apporte une démonstration définitive.

Si plusieurs concluent à l'innocuité du téléphone cellulaire, une des plus récentes, réalisée par un chercheur de l'Université catholique de Louvain, en Belgique, démontre que des rats de laboratoire exposés aux ondes des téléphones portables et des réseaux Wi-Fi ont un taux de mortalité multiplié par deux.

Une autre étude a démontré que des plants de tomates soumis à des ondes semblables à celles des portables réagissaient en sécrétant des molécules de stress.

Problèmes de comportement

Une autre, toute récente, suggérait que les enfants de femmes ayant utilisé fréquemment le cellulaire lors de leur grossesse étaient plus susceptibles d'avoir des problèmes de comportement.

On en saura peut-être un peu plus lors de la parution des résultats d'une vaste étude internationale, Interphone, lancée en 1999. Cette étude compare quelque 7000 patients de 13 pays atteints d'une tumeur à la tête avec un groupe témoin. Jusqu'ici, des résultats préliminaires diffusés suggèrent dans certains cas un risque "faible" de tumeurs après une utilisation intense du cellulaire pendant 10 ans.

Annoncés d'abord pour 2005, les résultats définitifs devraient finalement être connus l'an prochain.

 

Dix précautions à prendre

Le Dr David Servan-Schreiber, auteur des best-sellers Guérir et Anticancer, a lancé cette année un appel dont la portée a été mondiale. Entouré d'un aréopage de chercheurs de renommée internationale, le charismatique psychiatre, qui a lui-même eu un cancer au cerveau, a énoncé 10 précautions à prendre avec le cellulaire.

1- Ne pas autoriser les enfants de moins de 12 ans à utiliser un téléphone portable sauf en cas d'urgence.

2- Lors des communications, maintenir le téléphone à distance du corps. Favoriser l'utilisation des dispositifs mains libres.

3- Rester à distance d'une personne en communication et éviter d'utiliser un téléphone portable dans des lieux publics.

4- Éviter le plus possible de porter un téléphone mobile sur soi, même en mode veille.

5- Si on doit porter un cellulaire sur soi, s'assurer que sa face «clavier» soit dirigée vers son corps et sa face «antenne» vers l'extérieur.

6- N'utiliser le téléphone portable que pour établir le contact ou pour des conversations de quelques minutes.

7- Lors des communications, changer l'appareil de côté régulièrement.

8- Éviter d'utiliser le portable lorsque la force du signal est faible ou lors de déplacements rapides.

9- Communiquer par textos plutôt que par la voix.

10- Choisir un appareil avec le débit d'absorption spécifique (DAS) le plus bas possible.