Fini les briquets dans les concerts rock. Désormais, c'est devant une mer de téléphones cellulaires que les vedettes de la chanson chantent leurs succès, comme le feront les membres du groupe Aerosmith mardi au Centre Bell. La plupart de ces cellulaires filment la prestation et une partie de ces images se retrouvent illico sur Internet. Le téléphone sera-t-il interdit de séjour dans les salles de spectacles?

Fini les briquets dans les concerts rock. Désormais, c'est devant une mer de téléphones cellulaires que les vedettes de la chanson chantent leurs succès, comme le feront les membres du groupe Aerosmith mardi au Centre Bell. La plupart de ces cellulaires filment la prestation et une partie de ces images se retrouvent illico sur Internet. Le téléphone sera-t-il interdit de séjour dans les salles de spectacles?

Personne n'a obtenu l'autorisation de photographier ou de filmer Bob Dylan lors de son récent passage au Centre Bell. Monsieur ne voulait pas. Tous les journaux et toutes les chaînes de télévision en ville ont dû se rabattre sur des images d'archives ou des photos prises ailleurs dans le monde.

Or, sur le site YouTube.com, on trouve facilement une vingtaine de clips tournés par des fans, le 8 novembre, au Centre Bell. La qualité laisse souvent à désirer, mais les pistes sonores des clips les pluss longs Highway 61 , Tangle Up In Blue , Masters Of War se comparent à celles de bien des enregistrements pirates qu'on achetait volontiers il y a 10 ans.

Madonna n'a pas empêché les médias de la filmer ou de la photographier lors de son passage en ville au mois de juin. Aucun spectateur n'a cependant pu manquer l'avertissement imprimé sur son billet : «Vidéos, magnétophones et caméras interdits». YouTube recense néanmoins une centaine de clips tournés lors des deux représentations de son spectacle Confessions au Centre Bell. Live to Tell , chanson au cours de laquelle la star apparaissait crucifiée sur une croix disco, est la scène qui revient le plus souvent.

Il y a 10 ans, enregistrer et, à plus forte raison, filmer un concert de manière clandestine demandait un minimum de cran et d'imagination. Il fallait camoufler enregistreuse, micro et caméra dans ses sous-vêtements, espérer ne pas se faire repérer à l'entrée de la salle et remonter le tout aux toilettes avant le début du spectacle. Il fallait être particulièrement mordu pour s'adonner à ce genre d'activité et l'être tout autant pour fouiller d'obscurs magasins de disques dans le but de trouver ces enregistrements illégaux, communément appelés bootlegs .

«Dans les années 80, les bootlegs se vendaient au marché noir. Ils passaient de main à main dans des boutiques spécialisées. Ça demeurait un phénomène underground. Maintenant, tout est accessible sur Internet et les images font le tour du monde», remarque Benjamin Phaneuf, directeur général de Productions Phaneuf, qui gère les carrières ou produit les spectacles d'artistes tels Mes aïeux, Andrée Watters et Louis-José Houde.

«De nos jours, tout est filmé et devient du domaine public, constate Mario Lefebvre, agent de Garou. L'histoire de Michael Richards l'a démontré.» Le Kramer de Seinfeld a été mis dans l'embarras, la semaine dernière, par la diffusion d'une séquence où on le voit proférer des insultes racistes à l'endroit de spectateurs apparemment turbulents. L'incident n'aurait probablement pas pris de telles proportions si, à ce moment précis, aucun spectateur n'avait eu l'idée de sortir son téléphone cellulaire pour se filmer un petit souvenir.

Phénomène sous surveillance

«La réalité, c'est que ça devient monnaie courante dans tous les spectacles», dit Mario Lefebvre. Il sait de quoi il parle. Un soir de juin 2004, Garou a chanté Belle à Prague avec deux chanteurs tchèques Dan Barta et Bohous Joseph. Une personne placée tout près de la scène a tout filmé. La séquence est d'une qualité étonnante, tant au plan visuel que musical. Du coup, Garou ne chante plus devant 300 ou 400 personnes dans un bar de Prague, mais devant n'importe lequel des millions d'utilisateurs d'Internet.

«La personne qui a filmé la scène l'a fait sans permission, précise l'agent du chanteur. Est-ce qu'on va s'attaquer à cette personne, qui le fait pour de bonnes raisons ?»

Mario Lefebvre sait fort bien que ceux qui agissent de la sorte sont avant tout des fans. Personne dans l'industrie du spectacle n'a envie de se mettre son public à dos.

«La question qui se pose en ce moment parmi les artistes, les agents, les producteurs et les promoteurs c'est : pourquoi ne pas interdire les téléphones cellulaires dans les salles de spectacles ? Aucune décision n'a encore été prise nulle part sur la terre à ce sujet-là.»

Très jaloux de sa propriété intellectuelle et de son image de marque, le Cirque du Soleil garde également un oeil sur la diffusion de clips non autorisés sur Internet. Outre de courts extraits des spectacles Delerium et Corteo, on ne trouve pas beaucoup d'images clandestines des productions du géant québécois sur YouTube.

«On fait une demande assez formelle à nos spectateurs au début de chaque représentation, explique Renée-Claude Ménard, porte-parole du Cirque du Soleil. On leur demande d'éteindre leur téléphone cellulaire et de ne pas utiliser d'appareil photo.»

L'aspect sécurité compte beaucoup pour le Cirque : un acrobate momentanément aveuglé par la lumière d'un flash peut faire une chute dramatique. «Le Cirque n'est pas indifférent face à ce phénomène, ajoute la porte-parole, mais il faut voir la qualité des extraits et l'ampleur que tout cela va prendre.»

Des avancées rapides

La qualité actuelle des séquences vidéo n'est pas encore jugée menaçante par la plupart des producteurs ou imprésarios contactés par La Presse. François Rozon, grand patron de l'agence d'humoristes Encore, trouve même le phénomène «anecdotique».

Puisque la technologie avance par bonds et non à petits pas, la situation pourrait changer très vite, ajoute Benjamin Phaneuf. «On n'est pas encore en mode panique, mais il faudra éventuellement laisser son téléphone au vestiaire en même temps que son manteau», prévoit-il.

Interdit de filmer, vraiment?

À l'endos de chaque billet vendu par le réseau Admission est imprimé l'avertissement suivant: «L'utilisation d'appareils photo, magnétophones et magnétoscopes est strictement interdite». Dans le cas de Madonna, qui a chanté au Centre Bell en juin dernier, l'avertissement était même répété sur la face du billet: «Vidéos, magnétophones et caméras interdits». Et puis? On trouve quand même une centaine d'extraits de deux représentation montréalaises de son spectacle Confessions sur YouTube. La séquence la plus longue montre la Madone qui interprète Like A Virgin en s'adonnant à une forme de «lap dancing équestre», le poteau sur lequel elle faisait mine de se frotter l'entre-jambe étant monté sur une selle... De la première rangée aux estrades, plusieurs fans ont aussi filmé la fameuse scène de crucifixion au cours de laquelle la star chantait Live to Tell.

Peut-on filmer une prestation?

Un spectacle de rock ou d'humour est un événement privé... présenté en public. La beauté du spectacle tient en partie au fait qu'il est fixé dans le temps. S'il est faux de dire comme Jean-Pierre Ferland qu'il n'y a pas deux chansons pareilles, il est vrai qu'aucun spectacle n'est la copie conforme de celui de la veille. Voilà sans doute ce qui motive certains spectateurs à filmer ces moments uniques. Or, payer son billet ne donne pas le droit de filmer le spectacle et encore moins de le diffuser.

«Quand une prestation est filmée, elle n'a plus lieu seulement devant les 300 ou 3000 personnes qui sont dans la salle, signale Mario Lefebvre, l'agent de Garou. Dans un contexte de show, il n'est pas supposé y avoir de diffusion publique et rien n'a été négocié en ce sens.» La prolifération des séquences filmées par des téléphones cellulaires pourrait, si leur durée et leur qualité augmentent, constituer un épineux problème de gestion de droits pour l'industrie du spectacle.