Qui aurait cru, après les premières semaines difficiles de For Honor en février 2017, que ce jeu de combat médiéval accueillerait son 15 millionième joueur 20 mois plus tard ? Pour le directeur de marque chez Ubisoft Montréal, Luc Duchaine, le sauvetage se résume en un mot: écoute.

« Dès le début, on voulait avoir une communauté de joueurs, pour travailler avec eux pour qu'ils deviennent des ambassadeurs, explique-t-il dans le studio du boulevard Saint-Laurent, à Montréal. Ils nous donnent des conseils sur les mouvements, les personnages, les enjeux techniques. Et on les écoute. »

IDENTITÉ ET RÉSEAU DÉFAILLANTS

Fait inédit, 250 personnes travaillent encore sur ce jeu. À la mi-octobre, les inconditionnels ont été récompensés par une mise à jour d'envergure, une extension au jeu appelée Marching Fire. Il s'agit de l'exemple le plus abouti chez Ubisoft de ce que beaucoup de studios présentent comme le concept de l'avenir, les « univers persistants ».

Les débuts, toutefois, étaient loin d'être encourageants. D'abord parce que ce jeu ambitieux, dans lequel on incarne un chevalier, un samouraï ou un Viking, alternant entre combats en duo et attaques coordonnées, était tout simplement inclassable. « Ce n'est pas un monde ouvert, pas un jeu de rôle [role playing game, ou RPG], c'était une offre totalement différente, dit M. Duchaine. On a fait le pari que la meilleure façon de l'expliquer, c'était de laisser les gens l'essayer. »

Mais c'est surtout un aspect crucial du jeu, la possibilité de s'associer avec d'autres joueurs en ligne ou de les combattre, qui a frôlé la catastrophe. En misant sur un réseau de pairs, où la connexion internet de chaque joueur a de l'impact sur le groupe, on a ulcéré des dizaines de milliers d'entre eux. Pris avec des arrêts soudains et des ralentissements à des moments critiques, beaucoup ont laissé tomber le jeu dès les premières semaines.

« On s'est dit qu'il fallait changer l'infrastructure, mais faire ça en direct, c'est comme changer de moteur pendant que tu roules... dit le directeur de marque. Maintenant, nous avons des serveurs dédiés et le jeu est en parfaite santé. »

« PAPA LUKE »

C'est dans la tourmente qu'on a notamment décidé d'offrir une émission hebdomadaire, sur Twitch, Mixer et YouTube, dans laquelle les joueurs peuvent échanger avec les concepteurs. « Les gens ont appris à nous connaître, ils m'appellent Papa Luke, parce que ce sont des kids de 20 ans et que j'ai deux fois leur âge..., dit M. Duchaine. On a créé cette relation-là et ils savent maintenant qu'on travaille sur les problèmes qu'ils nous rapportent. »

C'est de cette communauté de joueurs que proviennent par exemple certains testeurs, choisis parmi les plus assidus, qui vont expérimenter les nouveautés souvent suggérées par la communauté. D'autres changements ont été annulés après qu'on eut pris note des réactions. Un exemple : on a ajouté des dialogues à des combattants auparavant peu bavards. « Ça ne passait pas, c'était déroutant, alors on a arrêté ça. »

ALLERGIQUES À LA « BULLSHIT »

En 20 mois, le jeu a tellement changé qu'un joueur des premiers jours le reconnaîtrait à peine, estime M. Duchaine. « Ce n'est plus le même jeu. C'est assez avant-gardiste pour un studio AAA comme Ubisoft. On est transparents, même s'il y a parfois des changements demandés qu'on ne peut pas faire. »

Le directeur de marque estime que bien des entreprises qui n'ont rien à voir avec le jeu vidéo pourraient profiter de l'expérience For Honor. « Il faut oublier l'idée d'un message hyper contrôlé quand tu veux t'adresser à cette communauté. Tu donnes les clés du char et tu laisses aller. Et tu ne peux pas les berner : ces jeunes ont le "bullshitomètre" très éveillé. »

For Honor, un jeu de combat médiéval, compte aujourd'hui 15 millions de joueurs. Photos fournies par Ubisoft.

photo fournie par ubisoft

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