Concentrée, Sylvie enchaîne des mouvements réels, amples et rapides, pour faire bouger son avatar numérique dans un jeu vidéo. Un banal moment de loisir? Non, un essai clinique très sérieux sur la maladie de Parkinson à l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière.

Sylvie fait partie d'un groupe test de dix malades de Parkinson âgés de 55 à 70 ans ayant déjà tout essayé pour réduire leurs troubles moteurs et cognitifs associés: médicaments, stimulation cérébrale par électrodes, kinothérapie...

Pendant 45 minutes, elle lève les bras, fait des fentes sur les côtés, fléchit les genoux. Tous ses gestes sont captés par une caméra infrarouge et répliqués sur son personnage dans le jeu Toap Run, une taupe évoluant dans différents univers où il faut éviter des obstacles et attraper des piécettes pour gagner des points.

«Physiquement c'est très dur, et il faut anticiper» les mouvements, déclare cette ancienne prof de gym de 60 ans, au début «assez réfractaire» à l'idée d'essayer un jeu vidéo, mais qui estime désormais en voir les bienfaits «tous les jours».

«J'ai plus de stabilité, je marche plus droit, et j'ai repris un peu goût à la vie», confie-t-elle.

«Les premiers résultats de l'étude sont très encourageants», s'enthousiasme la neurologue Marie-Laure Welter, qui travaille sur Toap Run au laboratoire Brain e-Novation à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) de la Pitié-Salpêtrière.

Si la rééducation a toujours fait partie du panel thérapeutique de la maladie de Parkinson, encore faut-il y avoir accès et la pratiquer sur la durée, en gardant la motivation. Or, dans le jeu, «il y a tous ces ingrédients», selon Mme Welter.

Il est par ailleurs «probable» selon elle que le jeu permette de sécréter de la dopamine chez les patients, cette hormone du plaisir et de la motivation qui régule aussi des activités motrices, et qui est déficiente chez les malades de Parkinson.

«Casser les codes»

Des études cliniques complémentaires, sur davantage de patients, seront toutefois nécessaires pour vérifier ce potentiel aspect neuro-protecteur ainsi que les effets à long terme et comparer avec des jeux vidéo de bien-être disponibles dans le commerce, comme ceux de la console Wii de Nintendo.

Dans la foulée du groupe japonais, pionnier en la matière, de nombreux éditeurs de jeux vidéo et développeurs d'applications mobiles ont investi le domaine du bien-être physique et mental ces dernières années.

Mais en santé, gare aux publicités mensongères! En janvier, l'américain Lumos Labs s'est vu infliger une amende de 2 millions de dollars pour avoir prétendu que ses jeux en ligne populaires Lumosity pouvaient conjurer les troubles cognitifs liés au vieillissement et même la maladie d'Alzheimer, sans preuves scientifiques à l'appui.

Rares cependant sont ceux qui prennent le chemin escarpé de la validation clinique, longue et coûteuse.

Le groupe français Genious, qui a conçu Toap Run avec l'ICM au sein du laboratoire Brain e-Novation, en fait partie.

Depuis 2011, Genious s'est lancé dans le développement de jeux thérapeutiques cliniquement testés, qu'il compte prochainement commercialiser auprès de patients à domicile via une plateforme en ligne, Curapy, actuellement en rodage auprès d'environ 1900 professionnels de santé dans le monde francophone.

«Le pari c'était de ne pas aller dans le bien-être, car on s'est dit que tout le monde irait vers ça, mais d'aller vers des choses plus compliquées, où l'on serait moins nombreux, pour créer un nouveau marché et casser les codes», explique Pierre Foulon, directeur du pôle numérique, santé et recherche-développement chez Genious.

«Il y a encore trois ans, on nous prenait pour des hurluberlus (...), il y avait des blocages intellectuels ou psychologiques sur le fait d'associer du jeu et du plaisir à des gens parfois atteints sévèrement», se rappelle-t-il.

Autre signe que les temps sont en train de changer: le leader français des jeux vidéo, Ubisoft, vise aussi le créneau, en développant un jeu pour traiter la maladie oculaire de l'amblyopie, pour lequel il espère décrocher à terme une autorisation de l'agence américaine du médicament (FDA).