Confrontés à une activité saisonnière, les éditeurs de jeux vidéo sont de plus en plus tentés de s'éloigner de leur coeur de métier pour diversifier leurs revenus et ne plus être dépendants de la seule vente de titres, très gourmands en investissements, mais au succès aléatoire.

Des téléphones intelligents aux paquets de croustilles, voilà la surprenante trajectoire des «Angry Birds» qui ont quitté le nid douillet des jeux sur mobile pour se réfugier au rayon alimentaire des étals de supermarché.

Fort du succès fulgurant du jeu - consistant à projeter des oiseaux avec un lance-pierres contre des cochons - lors de son lancement en 2009, le finlandais Rovio avait décidé de monétiser la notoriété de cette marque naissante en la déclinant de manière agressive, sur le modèle de Disney ou Marvel.

«Avant, les éditeurs pouvaient travailler uniquement à la création d'un produit. Aujourd'hui ils travaillent plus à la création d'un univers. Parce que cet univers est beaucoup plus riche et peut donner lieu à la création de produits très variés», explique à l'AFP Laurent Michaud, chef de projet loisir numérique à l'Idate.

Ubisoft, le champion français des jeux vidéo, est encore plus ambitieux en la matière. Le créateur de Rayman a annoncé début septembre l'ouverture d'un parc d'attractions de 10 000 m2 à Kuala Lumpur en 2020 qui s'appuiera sur ses franchises les plus populaires, comme Just Dance.

Souffrant d'un handicap de taille par rapport aux majors américaines, avec des franchises moins rentables, Ubisoft espère non seulement élargir sa palette de revenus dans ce marché très concurrentiel, mais aussi développer sa notoriété, notamment en Asie où il est encore peu présent.

«Gamification»

«Avant de voir le fruit de cet investissement, il faudra sans doute beaucoup de temps», souligne M. Michaud, prenant l'exemple d'EuroDisney ou du Parc Astérix. «Par contre, Ubisoft travaille l'identité de la société, et l'installe progressivement dans l'esprit des gens».

Pour piloter la diversification de son activité, Ubisoft a même lancé en 2011 une filiale «Motion Pictures», chargée de développer et produire des séries et films inspirés de ses jeux. Après le débarquement des Lapins Crétins sur le petit écran, Ubisoft prévoit en 2016 la sortie en salles d'Assasin's Creed avec Michael Fassbender et Marion Cotillard au casting.

Face à sa perte nette de 16,6 millions d'euros au premier semestre à cause notamment de ventes décevantes sur les marchés chinois et japonais, l'autre français Gameloft a fait de son côté le pari de l'agilité pour ne plus dépendre des aléas du marché.

Avec son modèle économique «freemium» - l'utilisateur télécharge gratuitement l'application, mais doit payer pour avoir des fonctionnalités supplémentaires - le spécialiste des jeux sur mobile ne peut se permettre de se reposer sur les 3 à 5% de joueurs qui acceptent de le rémunérer, alors que la production de ses jeux requiert près de 2 ans de conception et entre 1 à 5 millions d'euros d'investissements.

«Des hits, on les compte sur les doigts d'une main. Vous ne bâtissez pas un business model en disant: 'demain je vais tirer le gros lot à l'Euromillions'», explique à l'AFP Cyril Guilleminot, directeur France de Gameloft.

Par conséquent, le groupe a décidé de lancer il y a un an sa propre régie publicitaire numérique pour monétiser «une audience mensuelle de 172 millions d'utilisateurs» en moyenne.

Conscient de l'importance grandissante du mobile pour les agences et que la «gamification» permet de capter davantage l'attention des utilisateurs qu'une campagne classique, Gameloft propose aux annonceurs d'intégrer un mini «advergame» (jeu publicitaire) au sein d'un de ses jeux.

«C'était très naturel pour nous d'aller vers ce modèle. Ce n'est pas une roue de secours, au contraire c'est le deuxième étage de notre fusée», explique M. Guilleminot.

Et la formule attise déjà l'appétit de certains investisseurs. Le géant des médias Vivendi - pourtant sorti du secteur du jeu vidéo avec la cession d'Activision Blizzard en 2013 - vient de jeter son dévolu sur Ubisoft et Gameloft, en entrant la semaine dernière au capital à respectivement 6,6% et 6,2%. Et en portant jeudi sa participation à plus de 10% dans ces deux éditeurs.

Mais les deux éditeurs français entendent avec ces stratégies garantir leur indépendance financière et la maîtrise de leurs projets, alors que les spéculations sur un éventuel rachat vont désormais bon train.