Nintendo peut-elle encore attendre un an pour faire un succès de sa console Wii U, lancée il y a déjà plus de 18 mois ? La question se pose plus que jamais au terme du dévoilement à l'Electronic Entertainment Expo (E3) d'un portefeuille dont les principaux atouts ne seront pas mis en marché avant 2015.

Elle semble aujourd'hui très loin, l'époque où Nintendo dominait le marché du jeu vidéo grâce aux extraordinaires ventes de sa console Wii. Son successeur, la Wii U, lancée en novembre 2012, n'a jusqu'ici trouvé que 6,3 millions de preneurs à travers le monde. La Wii n'avait mis que quatre mois pour atteindre ce plateau, malgré de graves pénuries en magasins.

Sans surprise, les ventes sont en chute libre. L'entreprise japonaise a conclu son exercice financier 2014, le 31 mars dernier, avec des ventes de 571,7 milliards de yens (6,1 milliards de dollars), soit à peine 40 % de ses ventes de 2010. Et ce, même si sa console portative 3DS a été la plus vendue au monde, toutes plateformes confondues, en 2013.

« Ils n'ont pas pu livrer leurs meilleurs jeux à temps sur la Wii U », expliquait cette semaine le PDG d'Ubisoft, Yves Guillemot, lorsque sondé sur les difficultés de Nintendo. Ubisoft était l'éditeur le plus optimiste quant à l'avenir de la Wii U avant son lancement, mais son intérêt pour la plateforme a rapidement chuté depuis.

« Là, ils commencent à en sortir et s'ils fonctionnent, ça peut redresser la console, a poursuivi M. Guillemot. Mais je crois qu'ils ont été dépassés par Apple avec son iPad. Ils ont eu l'idée avant, mais ils ont mis trop de temps à la développer, de sorte qu'elle n'a pas eu l'impact qu'elle aurait dû avoir à son lancement. »

RÉACTIONS TIMIDES

Cette année à l'E3, Nintendo a laissé tomber sa conférence de presse à grand déploiement habituelle, la remplaçant par la diffusion sur l'internet d'une vidéo de 45 minutes dévoilant ses nouveautés.

La réaction à cette présentation a été timide. Quelques titres ont retenu l'attention. C'est le cas principalement de la première édition de la franchise Zelda pour la Wii U ou encore de Mario Maker, qui permettra aux joueurs de créer leurs propres niveaux de Mario Bros. à l'ancienne. Splatoon, une rare nouvelle franchise qui ignore complètement les personnages habituels de Nintendo, a aussi semblé prometteur, notamment parce qu'il cible un public important traditionnellement boudé par l'entreprise, celui des amateurs de jeux de tir en ligne.

L'ennui, c'est que ces trois titres, et une série d'autres parmi les plus prometteurs, ne verront pas le jour avant 2015. D'ici là, les incontournables seront rares. Et contrairement à ses rivaux, Nintendo ne peut à peu près plus compter que sur elle-même pour créer des jeux sur sa console. De tous les titres présentés à l'E3 par des éditeurs indépendants, on n'en trouve qu'un seul de qualité à avoir été confirmé sur la Wii U, Just Dance 2015 d'Ubisoft.

« Les éditeurs tiers prennent des décisions d'affaires, tout comme nous », a convenu en entrevue à La Presse le vice-président exécutif aux ventes et au marketing de Nintendo, Scott Moffitt.

« Notre tâche est de faire grimper le nombre de consoles vendues aussi haut que possible et aussi rapidement que possible. Nous pensons en être à ce point de bascule où nous offrons une masse critique de très bons jeux, qui entraînera des ventes de consoles en beaucoup plus grande quantité. »

Nintendo espère voir se reproduire un phénomène qui a grandement aidé la Wii, lors de la génération précédente.

« Beaucoup de gens avaient acheté deux consoles : une Wii et l'une ou l'autre de la Xbox 360 ou de la PlayStation 3, note M. Moffitt, afin de pouvoir profiter de nos jeux exclusifs. Nous sommes à l'aise avec l'idée d'être la deuxième console dans la maison, pourvu que nous soyons dans la maison. »

LA MODE DES FIGURINES

D'un point de vue d'affaires, la nouveauté la plus prometteuse pour 2014 annoncée par Nintendo hier est le lancement d'une collection de figurines, baptisée « amiibo » et inspirée de l'immense succès obtenu par Activision et Disney avec les franchises Skylanders et Infinity, respectivement.

Comme avec ces rivales, les personnages des figurines amiibo pourront être transposés à l'écran lorsque mis en contact avec une manette. Cinq jeux de Nintendo, dont Mario Kart 8 et Super Smash Bros., devraient être compatibles avec ces figurines au départ.

Nintendo espère ainsi mettre la main sur un immense marché qui a déjà rapporté 1,4 milliard aux États-Unis seulement pour Activision et Disney depuis sa création.

« Certaines prévisions parlent de 1 milliard pour cette année seulement, rien qu'aux États-Unis, estime M. Moffitt. Environ 58 % de ces revenus ont été générés sur nos consoles, que ce soit la Wii, la Wii U ou la 3DS. Nous sommes déjà la plateforme dominante pour ce marché. »

Les personnages de Nintendo, notamment Mario et Luigi, se prêtent d'ailleurs particulièrement bien à la formule, estime M. Moffitt. « Ils sont connus, et contrairement à Skylanders, par exemple, leur attrait est beaucoup plus vaste que simplement chez les jeunes garçons. »