Bien avant l'Homo sapiens, il y avait l'Homo ludens, ou l'Homme joueur. Découverte fracassante, à l'heure des jeux sur Facebook et de la PlayStation 3, alors qu'on redécouvre le jeu comme moyen de communication? Pas vraiment. Même s'il n'a peut-être jamais eu autant de sens qu'aujourd'hui, ce chaînon manquant nouveau genre a été découvert par l'auteur néerlandais Johan Huizinga... en 1938.

Qui a fait renaître l'Homo ludens en 2011? Si vous pensez «jeu vidéo», vous l'avez en mille. Déjà, à son époque, Johan Huizinga définissait le jeu comme un univers distinct du monde réel, avec des règles strictes, même si elles diffèrent de l'ordre réel. Cela s'applique aussi bien à FarmVille, sur Facebook, qu'à Uncharted 3 sur PlayStation 3...

L'informatique mobile contribue aussi à la renaissance de cette théorie: grâce à des applications comme Foursquare et Twitter, il est non seulement à la mode d'indiquer à sa communauté d'amis virtuels l'endroit où on se trouve, mais de plus, on accumule des points en vue de devenir le grand patron de la place. Virtuellement, bien sûr.

Ce phénomène a rapidement pris un nouveau nom: gamification, ou «ludification», pour ainsi dire. Depuis un an ou deux, tous les secteurs d'activité, de l'éducation au commerce, voient des avantages à intégrer des éléments de jeu inspirés de cette ludification technologique. Cela entraîne évidemment des critiques. Par exemple, pour plusieurs, la ludification est la récupération du jeu à des fins mercantiles: consommez plus et gagnez plus de points.

Pourtant, c'est loin d'être une mode passagère. L'ère de la culture numérique, comme on surnomme souvent une époque dominée par Facebook et les consoles de jeu vidéo, c'est effectivement l'apogée de l'Homme joueur, constate Bernard Perron, professeur au département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques de l'Université de Montréal.

«Notre culture vient du jeu. La culture numérique, elle, permet d'interagir en société beaucoup mieux qu'avant», dit celui qui dirige, depuis septembre, une mineure universitaire en études du jeu vidéo. C'est le premier programme universitaire en son genre au Canada, voire dans le monde. Ailleurs, on plonge les deux mains dans les pixels. Ici, on se penche sur les grandes théories du jeu vidéo.

«On étudie les effets du cinéma sur la société depuis des années. Le jeu vidéo, c'est une forme évoluée de cinéma. Les générations qui sont allées à la console plutôt qu'au parc durant leur enfance ont appris à travers ce type de jeu et appliquent ses principes au reste de leur vie. C'est ce qu'on essaie d'étudier.»

Étudier tout en s'amusant: l'Université de Montréal est probablement la seule institution du pays à posséder au moins un exemplaire de toutes les consoles populaires des 30 dernières années, de l'Atari 2600 à la PlayStation 3 avec lunettes 3D... «On a essayé tous les jeux 3D dès leur sortie», rigole le professeur Perron.

Après tout, à quoi bon étudier l'Homo ludens dans toute sa gloire pixellisée, si ce n'est pour s'amuser un peu en cours de route? Le contraire reviendrait à renier la théorie de Johan Huizinga. Soixante-treize ans plus tard!