Dans une immense salle de bal du centre des congrès d'Austin, Seth Priebatsch invite son auditoire à participer à un jeu avec des cartons de différentes couleurs. Il veut démontrer que, en 180 secondes, grâce à l'esprit de collaboration, les milliers de participants réussiront à échanger suffisamment de cartes pour former des rangées de la même couleur. Pari gagné: les quelque 3000 personnes de l'assistance ont terminé environ 1 minute avant la fin du jeu.

Seth Priebatsch, 22 ans, est le «chef ninja» (un mot plus sympa pour désigner le président de l'entreprise) de SCVNGR. Conférencier vedette du segment médias interactifs du festival South by Southwest (SXSW), il estime que la mécanique du jeu peut accomplir de grandes choses.

Selon lui, il n'y a aucun doute: le jeu est LA tendance de la prochaine décennie dans notre société (la dernière décennie était celle des médias sociaux comme Facebook et Twitter).

En effet, de plus en plus d'entreprises appliquent les principes du jeu (défis à relever, collaboration, récompenses) pour attirer et fidéliser leur clientèle ou encore pour motiver certaines actions, comme l'abonnement ou l'achat, par exemple. Si vous pensez que le jeu est une affaire d'enfant, détrompez-vous. Pensons seulement à la folie Angry Birds, le jeu qui fait fureur auprès de 75 millions d'adeptes qui y passent en moyenne 200 millions de minutes chaque jour, soit 16 années à l'heure (!). Selon le magazine Wired, il s'agit de l'application payante la plus populaire sur iTunes, et ce, dans 68 pays.

Jouer est l'activité préférée d'un enfant, mais c'est aussi ce que font des millions d'adultes pour passer le temps, se distraire, se détendre. Avec le succès retentissant des jeux sociaux comme Farmville et Second Life, nombreux sont ceux qui ont vu là une façon de faire grandir leur entreprise et d'attirer de nouveaux publics. Dans les couloirs de SXSW, la rumeur voulait que Google lance son nouveau jeu social, Google Circle. Le lancement n'a finalement pas eu lieu, mais on prévoit l'apparition de centaines de jeux mêlant géolocalisation et médias sociaux dans les prochains mois.

Mais aux yeux du jeune Priebatsch, le jeu est davantage qu'un pur divertissement - «plus que des écussons et des récompenses», dit-il. C'est une façon d'aborder la vie, ce qu'on nomme dans le jargon la gamification (un terme que l'on peut traduire par «ludologie»).

Dans une conférence consacrée à la télévision et aux médias sociaux, le vice-président au numérique pour la marque USA Network, Jesse Redniss, a expliqué comment son réseau avait utilisé le jeu pour attirer l'attention sur la série télé Psych (mettant en vedette Dulé Hill, une des vedettes de West Wing, lui aussi présent à SXSW). USA Network a mis au point une application (Psych Vision), un jeu interactif en ligne, une page Facebook et un compte Twitter (Psych_USA). Avec un mot-clé, les adeptes de la série pouvaient obtenir de l'information supplémentaire et exclusive durant l'émission. En amassant des points, ils couraient la chance de gagner des DVD gratuits, des affiches de la série, etc. Cette approche transmédia aura permis à USA Network d'augmenter de 130% le nombre de pages vues sur son site, une circulation qui s'est traduite par une augmentation des revenus publicitaires.

Les chaînes télé ne sont pas les seules à utiliser le jeu dans l'univers médiatique, et le jeu n'est pas qu'un outil marketing - il peut également être utilisé de façon plus didactique. Par exemple, en 2010, le Guardian a créé un jeu informatif qui permettait aux usagers de se mettre dans la peau du ministre des Finances et de prendre des décisions (choisir où faire des compressions) en vue du prochain budget.

Jouer sérieusement

Il y a ceux qui estiment que le jeu est une activité passive et que cette tendance à intégrer le «plaisir du jeu» à toutes nos activités est infantilisante. Et il y a les joueurs (les gamers), qui affirment que le jeu fait appel à la créativité et qu'il favorise la mise en commun des idées et des expertises dans la recherche de solutions.

C'est le cas de Jane McGonigal, conceptrice de jeux et auteure, invitée elle aussi à prononcer une conférence à SXSW. «Si nous sommes capables de régler des problèmes sérieux dans un monde virtuel, pourquoi ne serions-nous pas capables d'en faire autant dans la vie réelle?» a-t-elle demandé aux participants dans la salle.

L'actualité lui a donné raison l'hiver dernier, lorsque des scientifiques ont découvert que le jeu Foldit pourrait éventuellement aider à soigner la maladie de Parkinson et la maladie d'Alzheimer. Le jeu permet à des chercheurs de partout dans le monde d'unir leurs forces et leurs connaissances pour déplacer des blocs et ainsi trouver de nouvelles combinaisons de protéines.

Rappelant qu'on estime qu'il y aura 1 milliard de nouveaux adeptes du jeu dans 10 ans, Jane McGonigal affirme qu'il suffirait de jouer collectivement des milliers d'heures par semaine pour régler des problèmes planétaires comme les changements climatiques ou la malnutrition. Rêve ou délire?

Dans les prochaines années, il faut s'attendre, pour reprendre les mots du jeune Seth Priebatsch, à voir «une couche de jeu se déposer sur nos activités quotidiennes». Dans les médias, mais aussi dans le milieu de l'éducation (voir autre texte). Avez-vous envie de jouer?

> L'entreprise de Seth Priebatsch scvngr.com

> Le site de l'émission Psych usanetwork.com/series/psych/

> Le site de Jane McGonigal janemcgonigal.com

> Le jeu du Guardian tapez «comprehensive-spending-review-cuts» dans Google