Pendant que la concurrence produit d'un à trois jeux par année, Eidos-Montréal prend son temps. Établie depuis 2007 dans la métropole, voilà maintenant trois ans qu'une petite équipe de 140 artisans préparent et peaufinent leur premier jeu AAA. Il faut dire qu'ils se sont donné un défi de taille : faire revivre la licence du jeu de rôle et d'action Deus Ex. Les attentes sont immenses.

Deus Ex 3, c'est un peu l'Assassin's Creed d'Eidos-Montréal. Selon Jean-François Dugas, directeur du jeu, «c'est la carte de visite du studio». Et il a raison. S'attaquer à l'univers de Deus Ex, c'est s'attaquer à un monstre qui pourrait être très payant pour la notoriété de la boîte montréalaise.

Tournant principalement autour d'un avenir pas si lointain, le premier volet de Deus Ex décrit une vision noire des années 2050, dans un monde où la technologie a connu une évolution fulgurante. À tel point qu'une grande partie de la société bénéficie de la nanotechnologie afin d'augmenter certaines facultés. Un nano-virus fait cependant rage et décime la population. Seul un réseau formé de gens triés sur le volet a droit à l'antidote.

Produit pour PC en 2000, le jeu a connu un succès «tranquille». Encensé par la critique, il est considéré comme l'un des meilleurs jeux de l'époque. Le million d'unités vendues déçoit cependant le développeur. Créé par Warren Spector chez Ion Storm et édité par Eidos Interactive, Deus Ex explorait l'univers du cyberpunk à sa manière. Il était l'un des premiers jeux de tir à la première personne où l'on suivait l'évolution d'un personnage dans un monde complexe. Sa grande liberté d'action «nous donnait l'impression d'être intelligents», indique Jean-François Dugas.

Deus Ex est relancé en 2002 pour la PlayStation 2, mais ne connaît pas le succès escompté. En 2004, un deuxième chapitre, intitulé Deus Ex: Invisible War, est quant à lui démoli par la critique, qui accuse les concepteurs de ne pas avoir respecté la jouabilité exceptionnelle du premier jeu.

Faire du neuf avec du vieux

Quand l'on demande à Jean-François Dugas pourquoi il travaille sur un projet attendu avec autant d'appréhension, il nous répond: «S'il n'y avait eu rien à faire avec Deus Ex, je ne serais pas embarqué dans le projet. Deus Ex, c'est une franchise qui est assez hardcore, connue dans le monde du jeu vidéo, mais peu en dehors. On voulait en profiter pour repartir à zéro tout en respectant le timeline de l'univers.»

Le studio décide donc de «remonter dans le temps» et situe l'action du troisième jeu en 2027, au moment de la genèse de la révolution technologique qui a fragmenté la société. Aux alentours des années 2020, la nanotechnologie n'est pas encore une science populaire. Le boom technologique permet seulement aux humains d'améliorer la mécanique du corps. Ce qui entraîne des conflits moraux qui sèment la division au sein de la population.

«Les augmentations mécaniques, c'est plus visuel, plus show-off. Ce qui permet de faire des choses plus intéressantes à l'écran que la nano, qui n'est pas apparente sur le corps humain», explique Jean-François Dugas en faisant le lien avec l'évolution graphique des jeux depuis 10 ans.

La direction artistique de Human Revolution a donc été redéfinie à la sauce Eidos-Montréal. Le tout en s'inspirant de classiques du cinéma, du dessin animé et du jeu vidéo comme Blade Runner, Ghost in the Shell et Metal Gear Solid.

Le studio a ainsi tenté de créer l'univers en tenant compte de la réalité de notre époque et en imaginant ce qu'elle serait devenue si les événements de la chronologie de Deus Ex étaient survenus. Cela donne une vision unique, où le cyberpunk futuriste côtoie la Renaissance. Les villes, où dominent les couleurs noir et or, sont tapissées de néons et d'écrans. Cinq villes feront partie du jeu, dont Detroit et Shanghai. On ne sait rien des autres. Quand on demande si Montréal y sera, le directeur du jeu se contente de répondre, avec un clin d'oeil, que «les autres villes seront confirmées plus tard».

Et le jeu?

Sans avoir la manette en main, le studio a fait voir à La Presse la démo qui sera présentée à l'E3 2010 la semaine prochaine. Le jeu est splendide. On observe bien sûr encore quelques lacunes graphiques, mais le jeu ne doit être lancé qu'au début de 2011. On sent néanmoins déjà le grand potentiel immersif et on constate que les principes fondamentaux de la série ont été respectés.

Aux commandes d'Adam Jensen, héros déjà très charismatique du jeu, l'équipe nous a fait passer par deux phases importantes. C'est-à-dire celle du jeu de rôle (avec un système narratif semblable à celui de Mass Effect) et celle de l'action. Ainsi, nous avons pu expérimenter un des nombreux chemins que le joueur pouvait prendre afin de retrouver un personnage-clé dans un bar et être époustouflé par ses pouvoirs technologiques et la liberté qu'ils procurent afin d'aborder chaque situation.

Les pouvoirs se présentent selon quatre groupes: le combat, la furtivité, le piratage et le charme. Nous avons pu voir des approches et des mise à terre renversantes, dont une où Jenson tombe sur le sol et fait virevolter un régime de minuscules grenades autour de lui. Splendide!

Le studio promet également de respecter les principes cruciaux des jeux de rôle, parmi lesquels la personnalisation de personnages et d'armes, la gestion de son inventaire, les interactions avec tous les personnages et les fins multiples.

Au final, on sort de cette présentation enthousiasmé. Deus Ex 3: Human Revolution prouve déjà qu'il a sa propre personnalité et qu'il est en voie d'offrir la maturité et la profondeur qu'il se doit d'avoir. Ne reste plus qu'à attendre 2011, et si jamais on est déçus, «bien il y aura toujours Thief 4», note Jean-François Dugas en parlant du deuxième jeu en production.