Joueurs en rangs d'oignons, casques audio sur la tête, oeil rivé à l'écran: l'activité bat son plein, dans un silence religieux et une ambiance tamisée, dans l'un des innombrables cybercafés de Chine, devenue l'un des tout premiers marchés au monde du jeu en ligne.

Dans cet établissement du centre de Pékin, les jeunes filles rivalisent de concentration avec leurs pairs masculins, pianotant à toute allure pour régler avec maestria la chorégraphie d'une troupe de danseurs.«Ici les filles jouent toutes à Jing Wu Tuan» («l'équipe de danse dynamique»), indique un jeune client.

Jing Wu Tuan est l'un des jeux du développeur shanghaien 9you (Nineyou) qui revendique sur son site plus de 380 millions de comptes d'utilisateurs.

Les joueurs masculins eux se consacrent presque tous à World of Warcraft, un jeu de rôle en ligne massivement multijoueurs (MMORPG) de la société Activision Blizzard, opéré en Chine par NetEase.

WoW est le «seul jeu occidental à avoir vraiment du succès» en Chine, souligne Daniel H. Vlad, analyste senior pour les secteurs du jeu en ligne et du commerce électronique à JLM Pacific Epoch à New York.

Pourtant, le marché chinois du jeu en ligne attise la convoitise des développeurs étrangers, après avoir représenté près de 26 milliards de yuans l'an dernier (4 milliards de dollars), en hausse de plus de 39,5% en glissement annuel, selon les statistiques officielles.

«La compétition est rude pour les étrangers qui souvent ne voient pas les différences du marché chinois. Leurs jeux ne sont pas assez mis à jour pour des utilisateurs qui passent nettement plus de temps à jouer que leurs homologues occidentaux et finissent par se lasser», explique M. Vlad.

«Les Chinois aiment les jeux historiques, mythiques, culturels, de courses, de danse, de sport», énumère Lisa Cosmas Hanson, fondatrice de Niko Partners (spécialiste de l'industrie du jeu vidéo).

Mais outre les facteurs culturels «les développeurs étrangers se heurtent aussi aux règlements» chinois pas toujours faciles à comprendre, explique-t-elle.

Aussi «les jeux conçus en Chine détiennent-ils plus de 60% du marché», affirme Yu Yi, de la société d'études Analysys international (technologies et internet).

Trois géants chinois, cotés au Nasdaq de New York, dominent: Tencent, Shanda et NetEase, qui détenaient respectivement, au quatrième trimestre 2009, 24,1%, 20,1% et 16,6% des parts de marché, selon Analysys.

Le secteur a connu un développement fulgurant ces dernières années, porté par la forte progression du nombre d'internautes en Chine, désormais d'au moins 384 millions.

«La Chine n'est pas le plus grand marché du jeu mais il semble que ce soit devenu le premier pour le jeu sur PC», indique Lisa Hanson.

D'autres facteurs font sa force, comme les prix abordables de l'informatique et un accès relativement bon marché à l'internet.

L'heure dans le cybercafé est facturée 3 yuans, soit 46 cents . «Les gens passent 4 ou 5 heures ici», dit Zhao, un responsable de l'établissement.

«Mais le plus important a été la hausse de la qualité, de l'innovation et la variété des choix ciblant toutes les classes», souligne Daniel H. Vlad.

La société iResearch considère que «dans les prochaines années l'industrie du jeu en ligne restera au coeur de l'économie de l'internet» avec une progression de plus ou moins 20% pour atteindre des revenus de 58,5 milliards de yuans en 2013.

Le gouvernement s'inquiète d'ailleurs de ce boom, qui s'accompagne d'une hausse du nombre des internautes considérés en Chine comme «accros» à l'internet.

Selon une récente étude de l'Association de la Jeunesse pour le développement du réseau, le pays compterait désormais 24 millions de ces drogués de l'internet, dont la première activité est précisément le jeu en ligne.