L'URSS avait encore six ans à vivre lorsque le mathématicien moscovite Alexeï Pajitnov créa le jeu vidéo Tetris, ces briques multicolores qu'il faut encastrer, et dont le succès un quart de siècle plus tard ne se dément pas.

«J'étais fasciné par les puzzles, les casse-tête. C'était surtout une distraction par rapport au travail», explique à l'AFP M. Pajitnov, qui opérait dans un laboratoire d'Etat spécialisé dans l'intelligence artificielle et la reconnaissance vocale.

Pour ce scientifique qui n'avait alors que 29 ans, l'inspiration de Tetris est venue d'un puzzle fait de cinq pièces qui pouvaient être remontées de milliers de façons différentes. Mais le défi consistait à les assembler à la manière d'une boîte, souligne l'inventeur, en marge du salon de jeux vidéo «E3» de Los Angeles (Californie, ouest).

«Tetris» requiert d'imbriquer des blocs de formes diverses tombant du haut de l'écran, pour former des lignes parfaites. Simple au début mais de difficulté allant en augmentant, le jeu fait appel au sens de la coordination, de l'anticipation et de la capacité à prendre des décisions en un éclair.

Ce n'est qu'en 1989 que le jeu franchit officiellement le rideau de fer pour être édité par le géant japonais Nintendo, se souvient le directeur de l'éditeur «Blue Planet Software», Henk Rogers, qui avait repéré l'oeuvre de M. Pajitnov lors d'un salon de jeux électroniques l'année précédente.

«Mon métier était de trouver beaucoup de jeux, mais je n'arrêtais pas de revenir jouer à Tetris», indique M. Rogers. «J'ai compris que j'étais accro, ça m'a complètement effaré».

Et début 1989, lui et un responsable de Nintendo America, Minoru Arakawa, se rendaient à Moscou pour acheter les droits du jeu afin de l'adapter à l'alors toute nouvelle console de poche Game Boy.

Étant donné le système soviétique alors en place, il fallut négocier les droits avec le gouvernement.

«A cette époque, la Russie avait un peu de retard», se rappelle M. Arakawa. «Nous avons fait venir des ordinateurs, des imprimantes et des avocats (sur place) pour rédiger le projet de contrat, l'amender et obtenir une version définitive. Cela nous a pris quelques jours».

Tetris est rapidement devenu un succès mondial, et l'est resté. «Tetris est très populaire parce qu'il transcende les cultures», souligne M. Rogers. «Il n'y a pas de violence, pas d'idéologie: le joueur crée de l'ordre à partir du chaos».

A Los Angeles, MM. Rogers et Pajitnov devaient lancer mardi une fête d'anniversaire pour Tetris, une poule aux oeufs d'or dans un secteur d'activité où les coûts ont explosé.

«C'est formidable de voir que dans le secteur, tout le monde dépense des millions en graphismes ou en musique, et que nous continuons à casser la baraque avec Tetris. C'est une position enviable», remarque M. Rogers.

Nintendo continue à proposer sur ses consoles ce jeu mis à la page au fil des années, mais dont le concept reste le même. Le géant des jeux vidéo Electronic Arts (EA) en a aussi acquis la licence, afin de le proposer sur des téléphones mobiles.

Sur ce support, «Tetris est la plus grosse vente», assure Adam Sussman, vice-président de la branche spécialisée EA Mobile, et pour qui Tetris a eu «un impact important sur tout le secteur des jeux vidéo».

«Je n'aurais jamais pensé que cela aurait autant de succès», concède M. Pajitnov, alors que le Tetris a ses virtuoses. «A une époque, j'étais le meilleur joueur de Tetris au monde. Maintenant, je suis un bon joueur, mais pas un très bon», ajoute le mathématicien, qui se partage aujourd'hui entre Moscou et Seattle (nord-ouest des États-unis).