Un ordinateur portable. Un jeu vidéo. Un peu d'imagination et voilà qu'en quelques jours des mordus de cinéma et d'animation 3D peuvent réaliser un film. Les machiminas, ces courts métrages créés à partir de l'univers des jeux, gagnent en popularité. Portrait de la situation.

Imaginez Tom Cruise et Jack Nicholson en train de rejouer la scène finale de A Few Good Men... dans un jeu vidéo. Impossible? Un crack de l'informatique a pourtant réussi à recréer cet extrait du film à l'aide des personnages et de l'univers du jeu Half Life 2. 

Machinima. Voilà le nom donné à cette nouvelle forme d'expression que l'on définit comme un court métrage dont l'action se déroule dans la réalité virtuelle d'un jeu vidéo. Si l'oeuvre s'inspirant de A Few Good Men a été réalisée avec peu de moyens techniques, le résultat final est surprenant. Tout y est. La longue traversée de la salle d'audience. L'interrogatoire du lieutenant Daniel Kaffee. L'attitude autoritaire du colonel Jessep. Physiquement, les personnages n'ont rien en commun avec Tom Cruise et Jack Nicholson, mais on reconnaît la voix des deux acteurs lors de cet échange qui dure un peu plus de cinq minutes.

Depuis quelques années, des machinimas comme celles-là ont littéralement pris Internet d'assaut. Les premières oeuvres de ce type ont vu le jour dans les années 90. Et avec l'avènement des sites comme YouTube ou Dailymotion, ces films d'animation nouveau genre, à cheval entre le cinéma et le jeu, ont gagné en popularité. Le web devient en quelque sorte l'écran de cinéma des «machinéastes».

L'une des machinimas les plus connues à ce jour, s'intitule French Democracy. Réalisée par le Français Alex Chan - un créateur qui n'avait aucune expérience en cinéma ni en informatique - elle relate les événements entourant les émeutes des banlieues françaises en 2005. Ce court métrage a d'ailleurs déjà été diffusé à l'occasion du Festival du nouveau cinéma à Montréal.

Une série intitulée Red vs Blue, dont l'action se déroule dans l'univers du jeu Halo, est également populaire auprès des internautes, un peu partout dans le monde.

Peu de moyens

Qu'est-ce qui pousse les réalisateurs en herbe à créer une machinima plutôt qu'un court métrage traditionnel? Cette nouvelle façon de faire de l'animation nécessite peu de moyens, répond Alex Chan, joint au téléphone en France. «French Democracy a été réalisée avec un ordinateur portable, raconte-t-il. L'équipe n'est formée que d'une seule personne et au générique, il n'y a qu'un seul nom: le mien.»

«Imaginez une console de jeu où des gens jouent ensemble, ils enregistrent ce qui se passe pendant la partie sur un fichier vidéo et ensuite, ils font un montage à partir de ça, illustre Xavier Lardy, fondateur du site Internet, Machinima.fr. Derrière la technologie, il y a vraiment cette idée qu'en trois jours, on peut faire un film.»

Si les machinimas sont de plus en plus connues, on est toutefois loin du jour où elles pourront être diffusées au cinéma, croit Alex Chan. «Ce n'est pas évident, estime-t-il. Il y a des limites technologiques. Dans les machinimas, tout est préfabriqué. L'univers du jeu est déjà créé. Tu ne peux pas faire un film sur les émeutes dans les banlieues françaises à l'aide d'un jeu dont les personnages principaux sont des trolls, par exemple.»

Xavier Lardy ne partage toutefois pas cet avis. Il se dit convaincu qu'un jour, ce genre de film pourra être visionné au cinéma. Il planche d'ailleurs sur un projet destiné au grand écran. «La difficulté, c'est plutôt de transmettre de l'émotion, dit-il, de rendre les personnages crédibles.»

Au Québec

Si les machinimas sont davantage connues en Angleterre, en France et en Autriche, au Québec, elles commencent peu à peu à se tailler une place. À preuve, l'an dernier à Montréal, à l'occasion du Festival Arcadia - grande foire du jeu vidéo -, des ateliers de conception de machinimas avaient été organisés. «Les gens avaient apprécié l'expérience», mentionne François Décarie, producteur de l'événement.

Puis, au Centre NAD, qui offre de la formation en animation 3D, effets visuels et arts numériques, on a demandé à un groupe d'élèves d'élaborer une sorte de machinima. «À partir d'un moteur de jeu, ils doivent créer de nouveaux personnages, faire le design des costumes et concevoir un paysage, explique Pierre Tousignant, directeur en création 3D et en jeux vidéo au Centre NAD, situé à Montréal. Ça ressemble à une machinima.»

Qu'en est-il du droit d'auteur?

Est-il légal de réaliser une machinima dont l'action se déroule dans l'univers de Mario Bros, de son ami Luigi et de la belle princesse?

Difficile de trancher. Chose certaine toutefois, plusieurs concepteurs de jeux vidéo voient d'un bon oeil ces courts métrages qu'ils considèrent en quelque sorte comme des outils de promotion.

D'abord pour savoir s'il y a violation du droit d'auteur, plusieurs questions s'imposent. «Est-ce que la machinima constitue une reproduction de l'oeuvre? soulève Pierre Trudel, spécialiste en droit d'auteur à l'Université de Montréal. Utilise-t-on un personnage bien typé, suffisamment reconnaissable?»

Selon M. Trudel, il existe deux façons d'examiner le phénomène: le respect du droit d'auteur ou l'idée qu'une machinima puisse devenir un objet publicitaire important pour les compagnies qui conçoivent des jeux vidéo.

Que des gens se servent de nos jeux pour créer des oeuvres prouve qu'il y a un intérêt pour ce que l'on fait, souligne Stéphane D'Astous, directeur général de la boîte Eidos-Montréal. «Ça garde notre propriété intellectuelle vivante et ça nous donne des idées.»

D'ailleurs, des machinéastes se sont servis de la version un, deux et trois du jeu Deus ex, que la compagnie a conçu, pour réaliser leur oeuvre. Dans le futur, l'entreprise songe même à créer ses propres machinimas pour ses campagnes publicitaires.

Chez Ubisoft, on a assuré que la conception de machininas n'était pas un sujet de préoccupation.

«En ce qui concerne les droits, il s'est créé une zone de tolérance, ajoute Xavier Lardy. Et ce, tant qu'il n'y aura pas d'activité commerciale reliée à la machinima.»

Il mentionne d'ailleurs que plusieurs jeux comme Halo ou Sims créent maintenant des espaces pour permettre la conception de ce genre de court métrage.

De son côté, François Décarie, producteur du Festival Arcadia, ressent un certain malaise par rapport à la question des droits d'auteur, soulevée par la réalisation de ces oeuvres. S'il a organisé des activités de conception de machinimas l'an dernier lors du festival, il ne sait pas encore s'il répétera l'expérience cette année. «On doit quand même un respect à l'industrie», mentionne-t-il.