La sortie jeudi en France du jeu vidéo «Spore», peuplé d'espèces issues de l'imagination de millions d'internautes, témoigne de la volonté des éditeurs d'impliquer les joueurs dans le processus de création, une tendance en vogue sous l'influence des réseaux sociaux en ligne.

«Le tour de force de Spore est de mettre à la portée du joueur novice des outils pour concevoir des créatures et les partager, voire modifier l'environnement du jeu», explique Laurent Michaud, analyste de l'Idate (Institut de l'audiovisuel et des télécoms en Europe).Ce genre d'initiative n'est pas nouvelle, selon lui, mais les logiciels de création proposés habituellement s'adressent plutôt aux «joueurs les plus chevronnés». «En cela, Spore est très novateur», estime-t-il.

Derrière ce jeu de l'américain d'Electronic Arts, se cache Will Wright, emblème du studio Maxis à l'origine des «Sims», un jeu de simulation de la vie quotidienne qui s'est vendu à plus de 100 millions d'exemplaires.

«Notre ambition est de construire une communauté aussi forte que celle des Sims», déclarait-il cette semaine à Paris.

«Nous ciblons les joueurs occasionnels, tels que les enfants ou les adeptes des Sims - les femmes, les 15-25 ans - mais nous voulons séduire aussi les mordus», précisait-il, arguant que le jeu offrait «un pouvoir comparable à celui du Créateur».

Avant même sa commercialisation cette semaine, «Spore» semble avoir réussi son pari d'attirer un large public: plus de 3 millions d'espèces, plus insolites les unes que les autres, ont déjà vu le jour depuis le lancement en juin de l'«Atelier des créatures».

Electronic Arts, qui vient de se faire ravir sa place de numéro un mondial du secteur par Activision Blizzard (Vivendi), nourrit de grandes ambitions pour ce jeu qui a nécessité cinq ans de développement: il souhaite en vendre plusieurs millions d'exemplaires et rêve de répéter le succès des «Sims».

Dans la même veine, «Little Big Planet» (Sony), dans les rayons fin octobre, laisse le champ libre à tout un chacun pour personnaliser le héros à l'infini, imaginer les décors et les niveaux de son choix, inclure sa propre musique...

«Nous sommes partis du principe que tout le monde peut devenir créateur, le moteur graphique est accessible aux utilisateurs lambda», note Julien Brossat, chef de produit chez Sony Playstation.

«C'est l'apogée de ce qu'aujourd'hui pas mal de joueurs demandent: d'une part le côté +fun+ de jouer à plusieurs, et d'un autre côté l'envie de créer son monde à soi, sous l'influence de sites comme Facebook ou MySpace, c'est le paroxysme de la personnalisation», souligne-t-il.

Ce type de jeux soulève toutefois «la question de l'animation éditoriale: il ne suffit pas de mettre des outils à disposition, il faut aussi alimenter en scénarios, en quêtes...», relève l'analyste M. Michaud.

Encore plus en amont, certains titres, notamment dans l'univers massivement multijoueurs, font intervenir le public dès le processus de production, dans les périodes de tests.

Ainsi la société française Ankama, qui s'apprête à lancer «Wakfu», dans la lignée de son populaire jeu de rôle «Dofus», sollicite ses adeptes un an, voire deux ans avant la sortie officielle.

«Ils sont nombreux sur les forums ou dans les salons à nous apporter leurs idées et nous avons créé pas mal d'éléments qui venaient directement de leur influence», raconte Anthony Roux, directeur artistique d'Ankama qui veut désormais passer à l'étape supérieure et permettre de «façonner le look du jeu», à l'image de «Spore».