«Toi, attends que je te dégomme!» Sueur au front et yeux brillants, Mateusz, 17 ans, trépigne devant une bataille spatiale électronique inventée bien avant sa naissance, un enthousiasme qui illustre le retour en force des jeux vidéo «rétro.»

Derrière le jeune Polonais, des adolescents s'agglutinent. «C'est le meilleur score de la journée!»: leur cri d'admiration est couvert par la musique assourdissante qui résonne dans une halle de la Games Convention de Leipzig, le plus grand salon européen du jeu vidéo.

Objectif de ces joueurs: remporter un tournoi organisé autour de «Space Invaders», sorti en 1978.

Depuis, ce jeu qui consiste à exterminer au canon laser des nuées d'extraterrestres malfaisants est devenu culte, avec son graphisme austère et sa technique simple. A mille lieues des univers virtuels sophistiqués et des prouesses technologiques auxquels sont habitués les joueurs d'aujourd'hui.

 «Space Invaders, c'est tendance. J'ai croisé un tas de jeunes qui portent le logo sur leur T-Shirt, et certains n'y ont sûrement jamais joué» s'amuse Andreas Lange, de l'association berlinoise du Musée des jeux vidéo.

Tellement «tendance» que des artistes contemporains se sont emparés de ce jeu «icône». Le franco-américain Douglas Edric Stanley, qui lui consacre à Leipzig une installation interactive, voit dans «Space Invaders» un «conte social qui peut être mis en relation avec l'histoire contemporaine sans rien perdre de sa force poétique.»

Les joueurs ne vont pas chercher si loin: «Je joue surtout aux jeux récents mais j'en ai aussi téléchargé des vieux. Le graphisme est cool, ils sont simples», déclare Max, 15 ans. Pour Anna, 24 ans, «il suffit avec ces jeux de s'asseoir et jouer. Avec les nouveaux, il faut une heure rien que pour comprendre comment ça marche.»

 «Les jeux anciens ne sont pas seulement un phénomène de trentenaires nostalgiques», assure Christophe Dupas, 32 ans. Avec l'association française MO5.com, du nom d'un ordinateur ayant connu son heure de gloire en France dans les années 1980, il ambitionne d'ouvrir un musée interactif dédié au jeu vidéo. Leur collection est pour l'instant stockée de manière précaire dans un établissement scolaire de région parisienne.

 «Avec des jeux comme Space Invaders, Tetris, (le glouton jaune) Pacman ou (le plombier) Super Mario, on est dans le domaine de la culture populaire», assure cet informaticien.

Populaires, les stands réservés cette année à Leipzig aux ordinateurs des années 1980 et aux jeux «rétro» le sont. Mais si les visiteurs s'y pressent, l'ambiance à peine troublée par quelques ritournelles de synthétiseur paraît presque feutrée, à côté du déversement de décibels et de stroboscopes de rigueur autour des scènes où s'exposent les grands succès contemporains du jeu vidéo.

Une bonne partie des machines exposées appartiennent à René Meyer. A 38 ans, cet Allemand né en ex-RDA est à la tête de la plus grande collection privée au monde avec 500 ordinateurs ou consoles, et quelque 2 000 jeux vidéo.

Selon lui, «le retour vers les jeux plus anciens s'explique par le fait que certains se laissent particulièrement bien transposer sur des téléphones portables» mais aussi parce qu'ils sont «simplement très plaisants et efficaces.»

Voire trop efficaces. Si les petits extraterrestres de «Space Invaders» paraissent bien inoffensifs à côté des créatures guerrières de certains jeux d'aujourd'hui, ils n'en ont pas moins déclenché dès leur apparition un débat qui dure encore sur les méfaits supposés du jeu vidéo auprès de la jeunesse.

Dès mai 1981, un parlementaire britannique particulièrement anxieux prétend ainsi qu'à cause du célèbre jeu, des adolescents «sèchent l'école, oublient de manger et ne se comportent plus normalement...»