Oubliez les bureaux à cloisons, les cravates et les souliers cirés. La faune qui s'active dans les studios d'Ubisoft Montréal est jeune, branchée et bigarrée. Moyenne d'âge: 30 ans.

Oubliez les bureaux à cloisons, les cravates et les souliers cirés. La faune qui s'active dans les studios d'Ubisoft Montréal est jeune, branchée et bigarrée. Moyenne d'âge: 30 ans.

Au rez-de-chaussée, ils sont 150 à plancher sur le prochain cadeau de Noël des gamers du monde entier: Assassin's Creed.

Un océan d'écrans cathodiques parsème le vaste espace à aire ouverte où les tables de travail ont été regroupées au petit hasard des équipes de production.

Des épées et des fusils en plastique traînent sur les bureaux; des palmiers et des maquettes de personnages géantes émergent ici et là. La productrice travaille dans une espèce de cabanon de jardin artisanal planté au milieu de la place, vestige d'une vieille blague faite à un employé pour son anniversaire.

Bienvenue chez Ubisoft Montréal le quatrième studio de développement de jeux vidéo de la planète selon le magazine Game Informer. La fébrilité que dégage les quelque 1700 employés qui travaillent ici contraste avec les débuts enthousiastes mais modestes de ce studio qui lance ce soir le coup d'envoi des célébrations entourant son 10e anniversaire.

«La première journée, on était 10, se rappelle Patrice Désilets, directeur créatif du jeu Assassin's Creed. On n'avait qu'une partie du cinquième étage, et on avait distancé les bureaux pour avoir l 'impression d'occuper plus d'espace.»

Il faut entendre son collègue Alex Drouin, embauché deux semaines plus tard, décrire les premiers pas d'Ubi à Montréal. «On a pris une gang de Québécois, on les a pitchés dans un coin et on leur a dit «Faites un jeu». Nous, on ne savait rien faire, on n'avait même pas le vocabulaire technique pour se parler.»

Ce qui est sorti de tout cela?

«Une manière de faire des jeux qui est unique au monde. Et qui est assez winner», répond-il aujourd'hui non sans fierté.

Patrice et Alex ont 33 ans.

L'aventure Ubisoft à Montréal, ils l'ont vue évoluer de l'intérieur. Et en ont bien profité. Les deux hommes ont beau être incapables de garder leur sérieux plus de deux minutes en entrevue, ils se sont taillé au fil des ans une réputation qui dépasse nos frontières.

Le premier est une formidable machine à idées qui a généré certaines des histoires et des personnages qui ont permis au studio montréalais de faire sa place sur la scène internationale.

L'autre est devenu spécialiste dans l'art de faire bouger des personnages «pour que celui qui joue ait du fun» il est directeur artistique de l'animation sur Assassin's Creed.

À eux deux, ils représente le pari réussi qu'a pris Ubisoft en s'installant à Montréal. «C'est la première chose qui nous a attiré à Montréal: la créativité et la compétence de la main-d'oeuvre», dit aujourd'hui Yannis Mallat, PDG d'Ubisoft Montréal.

Il y a aussi eu les mesures incitatives financières du gouvernement taillés sur mesure pour l'entreprise française, rappelle Laurent Simon, professeur de management de HEC-Montréal.

«Mais c'est clair que l'underground très créatif de Montréal a joué il suffit de regarder la musique électronique, la danse et le théâtre contemporains, la Ligue nationale d'improvisation, les arts de la rue qu'on a ici.»

Ubisoft a su puiser dans ce bassin de talent. Mais il lui a aussi rendu une fière chandelle: celle de lui donner l'occasion de s'exprimer.

«On avait une bonne partie de la jeunesse qui était ouverte à des pratiques créatives, très intéressée par l'informatique. Mais avant l'arrivée d'Ubisoft, les débouchés étaient plutôt sombres», dit M. Simon.

Patrice Désilets peut en témoigner. En 1997, il rêvait de cinéma. «Mais quand tu es troisième électricien sur le plateau de tournage d'une pub de magasin de meubles de Laval, mettons que tu n'es pas à la veille d'être réalisateur.»

Quand des rumeurs voulant qu'Ubisoft songe à s'établir à Montréal parviennent à ses oreilles, il comprend que c'est sa chance. Il envoie son CV en France à la maison mère d'Ubisoft, traque littéralement le fondateur du studio montréalais en visite dans la métropole dans tous les hôtels de la ville pour obtenir une entrevue.

«C'était la première fois de ma vie que je sentais que je pouvais m'éclater et que, comment dire que ça pouvait être «international». Je sentais qu'un jeu, ça donnait des possibilités qui dépassent le Québec.»

Quand les autres suivent Avec le recul, Laurent Simon constate que l'arrivée d'Ubisoft a été la bougie d'allumage qui a permis à un potentiel déjà présent à Montréal de se révéler.

Parce qu'en 1997, Montréal ne partait pas de zéro.

«Softimage, par exemple, était déjà là depuis 10 ans», rappelle Jean-Pierre Faucher, directeur développement dupartenariat chez Alliance NumériQC. Si Softimage ne conçoit pas de jeux vidéo, elle fait des logiciels qui permettent d'en fabriquer. Logique qu'on cherche à s'en approcher.

Marc Stevens, directeur général de Softimage, se rappelle qu'il a vu venir Ubisoft à Montréal avec beaucoup d'enthousiasme.

«On a vu ça comme quelque chose d'extrêmement positif, raconte-t-il. Nous représentons l 'aspect technique, i ls sont l'aspect créatif. Et quand les deux se retrouvent l'un près de l'autre, ça fait bouger les choses beaucoup plus vite. On pourrait travailler quand même et faire en quelques voyages Californie pour avoir du feed-back sur nos logiciels. Mais c'est plus simple de marcher sur Saint-Laurent pour aller les voir.»

Laurent Simon, de HEC Montréal, est clair: sans Ubisoft, il n'y aurait pas eu les A2M, Electronic Arts et autres Eidos qui font aujourd'hui de Montréal un pôle incontournable de création de jeux vidéo.

«En théorie des grappes industrielles, il faut avoir une entreprise qui va ancrer le cluster. Et comme Unisoft est arrivée ici avec des projets extrêmement ambitieux, ça a donné de la visibilité, ça a poussé à développer les formations pour l'industrie, ça a révéler un potentiel qui dormait.»

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