Il existe plusieurs grands genres de jeux vidéo massivement multijoueurs. Grâce à Internet, on peut entreprendre des matchs sportifs en ligne, des confrontations militaires ou même des courses automobiles. Tout ça, avec des joueurs de partout sur la planète. Mais il y a un genre qui se distingue des autres : le jeu de rôle massivement multijoueurs. Quand l'éthique virtuelle devient règle non écrite d'un jeu vidéo.

Il existe plusieurs grands genres de jeux vidéo massivement multijoueurs. Grâce à Internet, on peut entreprendre des matchs sportifs en ligne, des confrontations militaires ou même des courses automobiles. Tout ça, avec des joueurs de partout sur la planète. Mais il y a un genre qui se distingue des autres : le jeu de rôle massivement multijoueurs. Quand l'éthique virtuelle devient règle non écrite d'un jeu vidéo.

Il y a quelques années, Cathy était bien accro à Everquest 2, un classique des jeux de rôle massivement multijoueurs. Elle en a d'abord maîtrisé les commandes : se déplacer, lancer des sorts, pourfendre des bestioles. Puis, elle a dû comprendre et mettre en pratique les règles non écrites des communautés virtuelles en ligne.

«Ce n'est pas si facile de s'intégrer à une communauté en ligne, fait remarquer Cathy. Il y a une éthique du jeu, des choses qui ne se font pas entre joueurs. Les gens qui ne respectent pas les règles de la communauté sont rapidement dénoncés dans les chats.»

En effet, un jeu de rôle massivement multijoueurs ne peut exister que si les joueurs ont accès à différents moyens de communications. Les grands titres du genre sont donc généralement dotés d'un système de clavardage (un chat), toujours bien présent à l'écran, durant le jeu. C'est par ces chats que la communauté se crée, que la vie sociale apparaît. Et comme la communication est instantanée, les joueurs apprennent très vite les règles de base du savoir-vivre virtuel et les comportements à éviter.

Heureusement, l'inverse aussi est vrai, comme le décrit Cathy. «En s'investissant dans le jeu et en entrant bien dans la peau de leur personnage, certains joueurs peuvent devenir des leader naturels, et le récit de leurs exploits circule. Par exemple, avec mon personnage de Everquest 2, une druidesse, j'allais dans une région peuplée de bandits, où les joueurs novices se faisaient souvent tuer, raconte-t-elle. Je restais invisible, et quand un novice était sur le point de mourir, j'apparaissais et lui sauvait la vie in extremis. Cette histoire-là a circulé, et c'était devenu une sorte de légende. Il y avait toute une mythologie écrite sur certains joueurs et certains exploits.»

Pas de liberté sans contraintes

Nicolas Pajot connaît bien les jeux de rôle massivement multijoueurs. Ancien d'Ubisoft, il a imaginé et conçu Gameloft, une des toutes premières infrastructures de jeu en réseau, à une époque où les possibilités techniques étaient encore relativement limitées.

Selon Nicolas, si un jeu est bien construit, les joueurs trouvent toujours le moyen de développer des trucs intéressants en termes de communauté. «Pour que se crée une communauté "au sein d'un jeu de rôle massivement multijoueurs", explique-t-il, il faut maintenir un certain nombre de règles assez strictes. Ça reste amusant du moment que les joueurs sentent qu'il y a un encadrement solide sur lequel ils peuvent s'appuyer. Les gens ne voient pas cela comme un frein à leur liberté. Ils essaient plutôt de maximiser leur liberté à l'intérieur des contraintes imposées.»

Nicolas donne comme exemple le jeu Le Deuxième Monde, créé en France au milieu des années 90. «En gros, relate-t-il, les développeurs ont constitué une ville où les gens pouvaient se balader et parler entre eux. Ça été catastrophique parce qu'il n'y avait pas de règles du jeu. Les gens faisaient à peu près n'importe quoi et ils n'ont jamais eu l'impression d'être immergés dans une expérience. En fait, le truc auquel ils s'amusaient le plus, c'était d'essayer de "casser" le système. C'était vraiment le chaos.»

Selon Nicolas, une communauté saine et fleurissante ne peut voir le jour que dans un monde virtuel techniquement cohérent, où les joueurs sont libres, mais à l'intérieur d'un cadre rigide. Il fait alors un parallèle avec les échecs. «"Les mouvements des pièces d'échecs sont parfaitement documentés, mais à l'intérieur de ces règles très précises, la liberté du joueur est absolue. Il en est de même avec les jeux de rôle massivement multijoueurs : un bon système est facile à apprivoiser, tout en offrant une très grande liberté.»

Tradition orale et écrite

Nicolas Pajot estime que les bons jeux de rôle massivement multijoueurs permettent aux joueurs de créer une tradition orale et écrite, la première naissant du système de clavardage, la deuxième apparaissant dans les forums de discussions disponibles sur Internet.

Selon lui, «il n'y a pas de jeux de rôle multijoueurs sans organes de communication, que ceux-ci soient créés par les développeurs du jeu ou par les joueurs. Ils permettent de documenter les exploits.»

On constate d'ailleurs avec étonnement l'émergence de conventions précises ainsi que d'un langage propre aux communautés en ligne au sein de ces organes de communication. Ainsi sont apparus certains termes et abréviations par lesquelles les joueurs communiquent. Des expressions bien ancrées dans la culture des jeux de rôle massivement multijoueurs.

Par exemple, la plupart des jeux du genre permettent aux participants d'envoyer des messages dans une fenêtre de clavardage générale que tous les joueurs peuvent consulter, en temps réel. C'est notamment par ce chat que sont échangés des trésors et que des groupes sont formés. Le joueur intéressé par une proposition lancée dans le chat général doit alors répondre par un message personnel au demandeur, que seul ce dernier pourra lire.

Dans des jeux plus anciens, comme Everquest, ce type de message personnel était appelé «tell». Un message général était alors suivi de l'abréviation PST, pour «please send tell», qui signifie, en gros, «si vous êtes intéressé, envoyez-moi un message personnel». Or, dans le jeu World of Warcraft, beaucoup plus récent, la fonction «tell» a été rebaptisée «whisper». Pourtant, même dans ce jeu où le «tell» n'existe plus, les propositions d'échanges et de collaboration sont encore généralement suivies de l'abréviation PST.

De tels exemples illustrent bien les conventions qui s'établissent et se perpétuent au sein des jeux de rôle massivement multijoueurs. Des protocoles et un folklore bien réels qui font maintenant partie intégrante des grandes sociétés virtuelles.