Le géant américain Google a plaidé mardi devant la justice européenne contre une application dans le monde entier du «droit à l'oubli» numérique consacré par l'UE, mettant en garde contre un danger pour la liberté d'expression.

L'affaire en question, portée devant la Cour de justice de l'UE basée à Luxembourg, oppose la société américaine au régulateur français de la protection des données, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Leur différend concerne la portée du «droit à l'oubli», c'est-à-dire du droit pour tout citoyen européen d'obtenir la suppression de certains liens dans la liste des résultats affichés par un moteur de recherche, après une requête portant sur le nom d'une personne.

Ce droit, soumis à des conditions, découle d'une décision de 2014 de la CJUE. Celle-ci a instauré la possibilité de demander un «déréférencement» de liens pointant vers des contenus incluant des données personnelles (des liens qui restent toutefois accessibles avec d'autres mots-clefs que les noms).

En 2016, la CNIL avait infligé une amende de 100 000 euros à Google, lui reprochant de limiter le «droit à l'oubli» des particuliers français aux seules versions européennes du moteur de recherche, alors qu'il devrait s'appliquer sur toutes les extensions d'un moteur de recherche pour être efficace selon le régulateur français.

Le groupe américain a contesté cette condamnation devant le Conseil d'État français, qui a lui-même sollicité l'avis de la CJUE pour trancher. Après les plaidoiries de mardi à Luxembourg, la décision de la Cour de justice n'interviendra pas avant plusieurs mois.

Google affirme respecter le droit à l'oubli en Europe et procéder à des «déréférencements» non seulement dans le pays (du demandeur), mais aussi dans tous les autres pays de l'UE. Mais le groupe a rejeté mardi l'idée qu'une décision prise en France ait un effet dans le monde entier, a indiqué une source ayant assisté à l'audience.

«L'activité même des moteurs de recherche est mondiale, c'est elle qui produit des effets au-delà des territoires», a dit de son côté le secrétaire général de la CNIL Jean Lessi, interrogé par l'AFP à l'issue de l'audience. Un individu doit pouvoir «garder la maîtrise même quand ses données sont visibles dans un autre pays ou traitées ailleurs», a-t-il plaidé.

Le groupe américain a par ailleurs mis en garde contre un risque pour la liberté d'expression, se prévalant du soutien sur ce point de plusieurs organisations de défense des droits.

«Si les régulateurs européens peuvent dire à Google de supprimer toutes les références à un site internet, alors des pays comme la Chine, la Russie et l'Arabie Saoudite ne tarderont pas à en faire de même», a fait valoir Thomas Hughes, directeur exécutif d'Article 19, une organisation de défense des libertés.

«Le droit au déréférencement, ce n'est pas un droit qui conduit à effacer le contenu des sites sources, c'est juste supprimer des liens» dans certains cas très précis, a défendu de son côté M. Lessi. «C'est quelque chose d'assez ciblé, c'est un ballon d'oxygène pour la personne qui est un peu écrasée par le déferlement d'informations, on ne va pas commencer à le restreindre», a-t-il ajouté.