Accès ultra rapide à certains sites web, plus lent à d'autres : un changement probable de réglementation aux États-Unis fait craindre le retour à un internet à deux vitesses, avec à la clé de gros enjeux financiers.

La Commission fédérale des communications (FCC) pourrait décider la semaine prochaine d'abroger une règle datant de la présidence de Barack Obama qui oblige les fournisseurs d'accès internet (FAI) à traiter tous les services en ligne de la même manière, assurant ce qu'on appelle la «neutralité du net».

Selon le président de la FCC, Ajit Pai, nommé par l'actuel président Donald Trump, cette règle «entrave l'investissement et l'innovation».

Concrètement, cette décision autoriserait les FAI à moduler la vitesse de débit internet à leur guise, en fonction du contenu qui passe dans leurs «tuyaux». Pour les internautes, cela voudrait dire par exemple qu'ils bénéficieraient d'un accès rapide à certains sites, mais pâtiraient d'un accès plus lent à d'autres, selon les relations entretenues entre leur fournisseur d'accès et les fournisseurs de contenus (moteurs de recherche, émissions, films, musique, séries...).

Et les défenseurs de la «neutralité du net» de citer des précédents: certains FAI ont tenté dans le passé de forcer les usagers à utiliser leurs moteurs de recherche, de bloquer les services de téléphonie par l'internet comme Skype, ou de faire payer un supplément pour l'utilisation de FaceTime, l'application d'appels vidéos d'Apple.

Une tentation d'autant plus grande, affirment-ils, que les gros FAI américains possèdent eux-mêmes des chaînes et des studios qui produisent des contenus: Comcast détient NBCUniversal, tandis qu'AT&T cherche à racheter Time Warner (studios Warner Bros., chaînes CNN et HBO...).

L'abandon de la neutralité du web «mènera à une transformation complète du fonctionnement de l'internet», s'inquiète Sarah Morris, à la tête du think tank «New America Foundation's Open Policy Institute».

«Les fournisseurs d'accès, en tant que gardiens des portes de l'internet, ont beaucoup de raisons de vouloir s'engouffrer dans des manigances. C'est notre aptitude à naviguer sur l'internet et à accéder à ses moindres recoins qui est en danger», a-t-elle insisté lors d'une conférence cette semaine.

Faux, répond Bob Quinn, un dirigeant d'AT&T, pourfendeur de longue date des régulations imposées par la FCC: «AT&T compte gérer son réseau comme il le fait aujourd'hui: de façon ouverte et transparente», dit-il.

Selon Michael Powell, à la tête du lobby des fournisseurs d'accès internet et réseaux câblés (NCTA - The Internet & Television Association), les FAI respecteront ce principe.

Dominance

Ed Black, à la tête du lobby des entreprises technologiques (Computer & Communications Industry Association), estime que les promesses des FAI sont peu crédibles.

«Pourquoi dépenseraient-ils des millions de dollars en lobbying si leur intention était de traiter tout le monde de façon équitable et non pas de récupérer des rentes monopolistiques ?», s'interroge-t-il.

«S'ils sont autorisés à créer des routes (numériques) ultra rapides, ils cesseront d'investir dans les autres. Ce qui reviendrait à laisser (les concurrents) sur des routes de campagne», assène M. Black.

Le sujet est d'autant plus sensible que les entreprises de télécoms et celles de la Silicon Valley sont en concurrence croissante: les premières, qui perdent du terrain sur leur activité traditionnelle, cherchent de plus en plus à mettre la main sur du contenu -émissions, films, séries...-, comme le montre la tentative de rachat de Time Warner par AT&T. Des contenus en concurrence avec, par exemple, les services de streaming comme Amazon Video ou Netflix.

Mais les géants technologiques ne sont plus en odeur de sainteté à Washington, en particulier depuis l'élection de Donald Trump. Fenêtre de tir idéal pour le nouveau patron de la FCC, qui estimait récemment que c'était précisément les géants de l'internet, bien plus que les FAI, qui étaient en mesure de décider ce à quoi peuvent accéder les internautes.

En «bloquant régulièrement des contenus ou en supprimant les commentaires qu'ils n'aiment pas», ces groupes «peuvent dissimuler leurs prises de position derrière la défense des intérêts du public, mais leur véritable intérêt est d'utiliser la réglementation pour affirmer leur dominance sur l'économie de l'internet», accusait-il.