En lice parmi les repreneurs potentiels du portail internet Yahoo!, le quotidien britannique Daily Mail a bâti le succès de sa version en ligne sur le sensationnalisme et le people, mais son modèle économique reste incertain.

La maison mère du tabloïde plus que centenaire, Daily Mail and General Trust (DMGT), a confirmé ce mois-ci qu'elle discutait avec des investisseurs intéressés par une partie des activités de l'américain Yahoo!, géant du web en difficulté.

Même en comptant ses nombreux actifs dans l'analyse et l'événementiel, DMGT ne réalise qu'un chiffre d'affaires annuel de 1,8 milliard de livres (2,6 milliards de dollars US) face aux 5 milliards US de Yahoo!, aussi cette marque d'intérêt a-t-elle pu surprendre.

Mais de l'avis des experts interrogés par l'AFP, le groupe britannique a su emprunter habilement ces dernières années les chemins cahoteux de l'information en ligne avec sa version internet, le Mail Online, tout en s'appuyant sur la version papier du Daily Mail qui tire encore à plus de 1,6 million d'exemplaires quotidiens.

«Le Mail Online est différent du journal à de nombreux égards. Il se focalise davantage sur les célébrités et a un positionnement très marqué: mordant, parfois méchant. Il veut provoquer et faire rire», explique Charlie Beckett, professeur des Médias à la London School of Economics.

«Les gens ne vont pas sur leur site pour y trouver de l'information sérieuse, mais plutôt comme on dégusterait des biscuits apéritifs, ils y passent 5 ou 10 minutes pendant leur journée de travail ou lorsqu'ils s'ennuient, juste pour passer un moment rigolo», dit-il.

Le Mail Online franchit pourtant parfois la ligne jaune: il y a deux ans, il avait retiré en catastrophe un article sur la famille de la fiancée de George Clooney, Amal, monté de toute pièce selon l'acteur.

Le journal en ligne a aussi été accusé de dérive raciste dans son traitement de la crise des réfugiés en Europe, notamment lors de la publication, au lendemain des attentats de Paris de novembre, d'une caricature sur des réfugiés musulmans entrant en Europe accompagnés de rats qui avait déchaîné les critiques sur les réseaux sociaux.

Pascal Lechevallier, consultant médias chez What's Hot, juge «assez glauque» la recette du Mail Online, «populiste et populaire», mais souligne qu'elle répond aussi «à ce que les gens recherchent sur internet: du divertissement».

Sur le plan de l'audience, le succès est là: DMGT revendique le titre de journal en ligne le plus consulté du monde anglophone, au-delà des 200 millions de connexions par mois, réparties à peu près équitablement entre le Royaume-Uni, les États-Unis et le reste du monde.

L'enjeu de la vidéo

Les contenus en ligne, souvent différents de ceux du Daily Mail, sont alimentés par une équipe distincte de 800 personnes. «Leur salle de rédaction ressemble à une usine: ils empruntent des contenus sur des sites tiers, publient très rapidement, avec beaucoup de détail, alignent une vingtaine de photos sur le même sujet...», énumère M. Beckett, qui insiste sur la jeunesse de cette rédaction et sa rapidité d'écriture.

L'entretien d'une telle force de frappe coûte cher toutefois et, bien qu'il ait généré près de 73 millions de livres (94 millions d'euros) de revenus l'an passé essentiellement via la publicité, ce journal internet gratuit n'est pas encore rentable de l'aveu de sa maison-mère - qui table sur des revenus de 100 millions de livres pour équilibrer les comptes.

La publicité en ligne ne rapporte en effet pas autant qu'espéré, elle subit l'impact des systèmes de blocage et connaît les pires difficultés sur les supports mobiles comme les smartphones et les tablettes.

Le Mail Online est confronté de surcroît à la concurrence de sites en pointe sur les contenus vidéos, comme Buzzfeed ou Vice, à la croissance rapide. «Intégrer la vidéo coûte très cher, mais les gens en veulent de plus en plus, aussi est-on entré dans une espèce de course qui rend ce modèle économique totalement instable», relève M. Lechevallier, pour qui le Mail Online «est certes en avance sur d'autres, mais n'a pas pour autant une équation économique parfaite».

Entrer dans la meute affamée par les morceaux de Yahoo! peut s'expliquer à cette lumière: la gloire vieillissante de l'internet garde de beaux restes dans les services de recherche et d'analyse, ce qui pourrait aider le Mail Online à mieux connaître ses lecteurs et à davantage monétiser ses contenus.

Le géant américain a aussi intégré dans son giron de nouvelles pépites comme les sites de microblogue Tumblr et de partage d'images Flickr sur lesquelles le groupe britannique pourrait compter pour générer du trafic sur ses sites, tout en s'appuyant sur la taille imposante des actifs de Yahoo! pour réaliser des économies d'échelle.