Amazon s'est fait un nom avec son magasin en ligne, mais il mène aussi la danse sur un créneau moins visible du grand public et devenu un credo pour l'ensemble du secteur informatique: le nuage.

Service de stockage et d'exploitation de données sur des serveurs distants, le «cloud», ou «nuage» en français, est, avec le mobile, le concept le plus à la mode parmi les groupes technologiques. Presque tous en parlent comme d'une priorité.

«Il y a une énorme course aujourd'hui pour dominer ce qu'on appelle le nuage public, de gigantesques centres de données où n'importe quelle entreprise peut faire tourner des applications ou louer des infrastructures», explique Dave Bartoletti, un analyste de Forrester. «Amazon a été le premier à faire cela, il y a presque dix ans, et il a quasiment inventé ce marché».

Jusque là, les entreprises achetaient et installaient en fonction de leurs besoins des équipements informatiques privés. «Amazon a changé ce modèle» en commençant à bâtir des infrastructures publiques et en les louant à la demande à d'autres entreprises, détaille l'analyste.

Si un poids lourd comme Facebook a les moyens d'avoir ses centres de données privés, pour beaucoup d'entreprises le nuage public s'avère moins cher, plus flexible et utilisable plus rapidement. C'est particulièrement vrai sur le créneau en ébullition des applications mobiles et des services en ligne: la figure de proue de la vidéo en continu Netflix est ainsi l'un des gros clients de la filiale de nuage d'Amazon (AWS).

Tous menacés

Amazon a dépensé énormément pour bâtir des centres de données dans le monde entier pour AWS, et surpris cette année en dévoilant son retour sur investissement: cette filiale affiche une marge bénéficiaire de 22% sur les neuf premiers mois de 2015, où ses revenus ont bondi de 70% à 5,5 milliards de dollars.

Les analystes estiment qu'AWS s'adjuge environ la moitié du marché mondial du nuage public.

«AWS s'est approprié le marché» avant que les autres ne s'y lancent, et se maintient devant la concurrence car il «reste extrêmement agressif en termes d'investissements dans son réseau, de développement de nouveaux services et de prix», résume John Dinsdale chez Synergy Research Group.

À la simple location d'infrastructures se sont ajoutées au fil du temps des offres plus pointues, comme des services de gestion de base de données, d'analytique ou d'aide à la conception d'applications mobiles. «Amazon est passé d'une menace seulement pour les autres gestionnaires de centres de données à une menace pour n'importe quelle entreprise» informatique, y compris des fournisseurs d'équipements et de logiciels pour les entreprises comme Oracle, Dell, IBM ou HP, souligne Dave Bartoletti.

Ces dernières semaines, on a ainsi pu entendre Satya Nadella, le directeur général de Microsoft, citer Amazon comme le seul acteur innovant à aussi grande échelle que son groupe; Larry Ellison, le fondateur d'Oracle, le présenter comme un adversaire plutôt que des rivaux historiques comme IBM et SAP; Meg Whitman, la patronne de HP, reconnaître qu'il était «trop loin devant» pour espérer le concurrencer.

3 à 5 poids lourds

Forrester n'attend pas de ralentissement avant «au moins cinq ans» sur le marché mondial du nuage public, avec des taux de croissance dépassant 30%. De quoi attirer beaucoup de prétendants, même si rares sont ceux capables de rivaliser avec Amazon.

Le concurrent le plus dangereux aujourd'hui est Microsoft, avec sa division Azure. Sous l'impulsion de Satya Nadella, il a fait du nuage une vraie priorité, et s'appuie sur un éventail très large de services ainsi que des liens étroits avec les grandes entreprises, détaille Dave Bartoletti.

Suivent plus loin derrière Google, fort de centres de données dans le monde entier, mais moins implanté en entreprises, puis IBM, qui illustre les difficultés de transition des acteurs historiques: il investit beaucoup dans le nuage, mais sans compenser encore la perte de vitesse de ses activités plus anciennes.

À terme, Dave Bartoletti s'attend à voir subsister seulement «trois à cinq» acteurs d'échelle mondiale, avec un marché secondaire de petits prestataires locaux.

«Il est difficile pour l'instant de voir des challengers significatifs pour les quatre grands», mais «il continuera d'y avoir beaucoup d'opportunités pour des entreprises se concentrant sur des niches ou des régions spécifiques», juge aussi John Dinsdale. «Il y aura aussi certainement beaucoup de consolidation.»