Employés constamment en pleurs, courriels envoyés à minuit exigeant une réponse, congédiements pour cause de problèmes personnels ou de maladie. Une nouvelle enquête, publiée en fin de semaine par le New York Times, décrit la culture de productivité inhumaine du géant du commerce en ligne Amazon. Ce n'est pas la première fois que l'entreprise fondée par Jeff Bezos en 1994 est dans la controverse pour sa façon de traiter ses employés. Explications.

L'enquête du NYT

Après avoir interviewé une centaine d'employés, anciens et actuels, la plupart sous le couvert de l'anonymat, les journalistes Jodi Kantor et David Streitfel dressent un portrait effarant de la culture de performance extrême chez Amazon. Les semaines de 80 heures y seraient fréquentes, on encourage les employés à mettre en pièces les idées de leurs collègues, ceux qui ont le malheur de tomber malades, de faire une fausse couche ou d'avoir des enfants se voient dénigrés. «Presque chaque personne avec qui j'ai travaillé, je l'ai vue pleurer à son bureau», raconte une ex-employée. Résultat: les employés passent en moyenne un an chez Amazon avant d'aller voir ailleurs. Le taux de roulement anormal est appelé «darwinisme intentionnel» par un ex-directeur des ressources humaines interviewé.

Le «classement en piles»

Au coeur de la méthode Amazon, on retrouve une pratique controversée, le «stack ranking» (classement en piles), parfois appelé «rank and yank» (classe et jette). Les employés sont constamment évalués et classés, du meilleur au plus médiocre. L'«Anytime Feedback Tool» permet par exemple aux employés de se plaindre de leurs collègues auprès de la direction. Chaque année, les directeurs se rencontrent et placent leurs employés selon leur évaluation, mettant dehors ceux qui ont les plus mauvaises évaluations. Des employés atteints de cancer, qui ont fait une fausse couche ou eu des problèmes personnels auraient été évalués injustement et auraient perdu leur emploi avant d'avoir pu se remettre. Amazon, écrit le NYT, mène «une expérience peu connue pour savoir jusqu'à quel point on peut mettre sous pression les employés de bureau, repoussant les limites de ce qui est acceptable». D'autres grandes entreprises, comme Microsoft et General Electric, ont déjà annoncé ne plus pratiquer cette forme cruelle d'évaluation.

Pas la première fois

C'est loin d'être la première fois qu'Amazon est épinglée de la sorte. En août 2014, le site Gawker citait des ex-employés pour qui il s'agissait du «pire employeur» qu'ils aient jamais connu. L'un d'entre eux a parlé d'une «expérience qui brise l'âme». En février 2014, le livre Mindless: Why Smarter Machines Are Making Dumber Humans décrivait les pratiques de surveillance des employés, qualifiées de «diaboliques» par l'auteur. Cette année-là, la Cour suprême a donné raison à Amazon dans une affaire plutôt révélatrice: l'entreprise n'a pas à payer ses employés quand ils poireautent pour passer au détecteur, comme c'est la politique quand ils sortent des bureaux ou y entrent. En 2012, plusieurs reportages parlaient des conditions de travail inhumaines dans les entrepôts, notamment de la chaleur, qui a mené certains travailleurs à l'hôpital. En 2008 et 2010, ce sont les installations de Grande-Bretagne, d'Allemagne et de France d'Amazon qui étaient dénoncées par les médias.

Cas «rares ou isolés»

La réplique au reportage du NYT a été vive. Dans un courriel envoyé à ses subalternes, M. Bezos assure qu'il n'aurait jamais toléré des pratiques aussi dures que celles qui ont été décrites. Estimant qu'il s'agit de cas «rares ou isolés», il a invité ceux qui en seraient victimes à lui écrire directement. «Je pense que n'importe qui qui travaillerait dans une entreprise comme celle qui a été décrite par le NYT serait fou de rester, écrit-il. Je sais que je quitterais une telle entreprise.» Un autre média américain, CNN, a cependant trouvé des statistiques intéressantes qui montrent un réel malaise. Selon le site GlassDoor, qui note les employeurs, seulement 62% des employés d'Amazon recommanderaient à un ami de travailler pour son entreprise. En comparaison, ce taux est de 82% pour Apple, 92% pour Google et 81% pour Microsoft.

AMAZON EN CHIFFRES

89 milliards US

Revenus globaux en 2014, ce qui en fait, et de loin, la plus grande entreprise de commerce électronique du monde

241 millions US

Pertes enregistrées l'an dernier, après un bénéfice de 274 millions en 2013

251 milliards US

Capitalisation boursière sur le NASDAQ, en date d'hier. Elle a dépassé le mois dernier Wal-Mart.

23 %

Part du marché du commerce de détail en ligne aux États-Unis

154 100

Nombre d'employés, essentiellement dans ses installations de Seattle

270 millions

Utilisateurs ayant un compte Amazon. Le champion mondial à cet égard est Alibaba, avec 350 millions d'utilisateurs actifs.

74 %

Part de marché aux États-Unis de la liseuse électronique d'Amazon, la Kindle

Au Canada

7%

Part du marché canadien du commerce de détail en ligne détenue par Amazon en 2014

1,5 milliard

Ventes au Canada en 2013, selon une analyse de BMO

Deux installations, à Vancouver et Toronto, pouvant accueillir environ 2000 employés